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«Électre» de Sophocle: Vengeance viscérale

Dernière mise à jour : 6 juil. 2019

Par Yanik Comeau (Comunik Média / ZoneCulture)


Monter Électre – ou n’importe quelle des pièces de Sophocle, d’Eschyle, d’Euripide ou d’Aristophane – en 2019 peut être risqué. Il est vrai que les grands auteurs de l’Antiquité grecque ont écrit les textes fondateurs de la dramaturgie, que leurs propos sont ancrés dans ce qui démontre à quel point l’Humanité ne change pas tant que ça, mais les grands classiques peuvent être poussiéreux pour certains. Faire appel à Evelyne De La Chenelière pour créer un texte français moderne est un choix éclairé comme l’était celui de faire appel à Marie Cardinal pour ressusciter La Médée d’Euripide dans les années 80.



Serge Denoncourt aime le théâtre grec et Électre tout particulièrement puisqu’il y revient près de trente ans plus tard après l’avoir montée avec les étudiants de l’Option-Théâtre du Cégep Lionel-Groulx en 1991. Il a même fait un retour au sein du Théâtre de l’Opsis – qu’il avait cofondé et dirigé avant de quitter en 1994 – pour créer un Oreste: The Reality Show complètement éclaté dans le cadre du cycle du même nom. Encore une fois, comme il l’a fait avec des classiques des quatre coins du monde et de toutes les époques, Denoncourt ne se limite pas à transvider la vieille pièce sur la scène mais la réinvente, la transpose (cette fois, dans ce qui pourrait ressembler à la Syrie d’aujourd’hui, au milieu d’une tragique guerre civile, d’une triste réalité qui semble sans issue).



Sur de lourds blocs de béton jonchés de déchets, Magalie Lépine-Blondeau est une Électre tiraillée entre un deuil insurmontable et une amertume (le mot est mince) qui la consume – pas à petit feu. Une amertume qui l’avale, la dévore. Son jeu est si puissant que l’on peut presque sentir, voir, goûter le fiel qui anime son Électre. Elle passe plus de la moitié de la pièce à genoux sur cette surface sans merci, non sans rappeler les fidèles qui montent les marches de l’Oratoire pour se sacrifier ou pour mériter la faveur qu’ils demandent au Ciel.



Autour d’elle, la toute mignonne et touchante Caranne Laurent, un choix des plus originaux et inusités pour incarner le coryphée. Elle est tout simplement captivante, éblouissante dans sa subtilité et sa sensibilité. Comme dans sa performance sublime dans Des Souris et des Hommes chez Duceppe à l’automne, Marie-Pier Labrecque excelle dans le rôle de Chrysothémis, la sœur d’Électre. On est aussi transportés par le jeu d’Alex Bisping qui incarne le Précepteur et celui de Vincent Leclerc qui prête vie à Oreste, le frère que l’on croyait mort, mais qui… Violette Chauveau livre une Clytemnestre régale et digne, mais froide comme les méchantes belles-mères des contes de fée. Pas un reproche. Au contraire. Une impression. Une inspiration, consciente ou inconsciente ?



Difficile de ne pas adhérer au chœur que propose Denoncourt avec instruments de percussion qui rythment efficacement les mots de la plèbe. Fayolle Jean, qui incarne aussi efficacement Égisthe dans les dernières minutes de la pièce, est puissant dans le chœur. Sa carrure imposante, son coffre donnent une force et une crédibilité accrues à l’ensemble variable que Denoncourt parsème parmi les spectateurs, intégrant les interprètes aux témoins d’estrades, se servant du public pour multiplier les voix, les têtes face à face comme deux grands miroirs qui se reflètent.



L’Électre du trio De La Chenelière/Denoncourt/Lépine-Blondeau s’inscrit parfaitement dans cette saison de voix féminines de toutes les époques qui font écho à celles d’aujourd’hui.


Électre de Sophocle Texte français : Evelyne De La Chenelière Mise en scène: Serge Denoncourt Assistance à la mise en scène et régie: Suzanne Crocker Helléniste: Elsa Bouchard Avec Alex Bisping, Violette Chauveau, Fayolle Jean Jr., Marie-Pier Labrecque, Caranne Laurent, Vincent Leclerc et Magalie Lépine-Blondeau. Scénographie: Guillaume Lord Lumières: Sonoyo Nishikawa Costumes: Ginette Noiseux Conception sonore: Nicolas Basque Une production Espace Go 22 janvier au 17 février 2019 (durée : 1h40 sans entracte)

*** Supplémentaires : samedis 9 et 16 février 20h Espace Go, 4890, boulevard Saint-Laurent, Montréal. Billets: 514-845-4890

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