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«Valparaíso» de Dominick Parenteau-Lebeuf: Du Napierville des Patriotes au Chili d’Allende

par Yanik Comeau (Comunik Média) Comme bien des textes, bien des créations, Valparaíso est parti d’une étincelle, d’une toute petite parcelle d’imaginaire ou d’une image, conjurée ou réelle. L’image obsessive d’une femme qui sort de la trappe d’une maison ancestrale. Une image fascinante, qui hante presque l’auteure. Et, pour Dominick Parenteau-Lebeuf, il y a aussi le désir de travailler avec Julie Vincent, «une comédienne que j’admire depuis toujours» et d’écrire pour sa compagnie, Singulier Pluriel, «afin d’entrer en écriture par une route que je n’avais jamais empruntée, celle de l’Amérique du Sud, et vivre le théâtre autrement.» La fusion de ces trois éléments sera le point de départ d’une œuvre qui fait des allers-retours constants entre fiction et vérité, entre histoire et invention, entre rêve et réalité, entre Québec et Chili, entre 19e et 21e siècles.



Bien que l’auteure dise n’avoir jamais emprunté la route de l’Amérique du Sud, on la reconnaît avec bonheur dans son désir de réduire le clivage entre les cultures, de situer ses histoires imaginées dans un monde bien réel, d’explorer les rencontres interculturelles, la langue et plus largement les langues comme elle le faisait dans La petite scrap ou La demoiselle en blanc par exemple. Avec Valparaíso, on revisite les patriotes en 1838-1839, on fait la rencontre de Sœur Bernard Morin des Sœurs de la Providence, on suit la visite de Virginia, une femme d’affaires chilienne qui vient vendre sa mayonnaise dans une foire agroalimentaire montréalaise, avec sa fille Valentina et combien d’autres personnages ancrés parfois dans la réalité, parfois dans la fiction, parfois dans le passé, parfois dans le présent, mais toujours vrais, attachants, sympathiques, captivants.



Dans son désir de décloisonner le théâtre, de le rapprocher du public, Julie Vincent signe une mise en scène qui rappelle celle de L’Annonce faite à Marie de Claudel par Alice Ronfard (aussi dans une chapelle) ou celle de La Transfiguration de Benno Blimpie par Sébastien Dhavernas (en croix). Ici, les comédiens jouent dans une allée au centre avec les spectateurs assis dans des fauteuils des deux côtés. Les acteurs interagissent avec le public ajoutant au dynamisme d’une mise en scène déjà bien vivante et vivifiante. Intégrant habilement le mouvement, le théâtre d’ombre, des projections et un chœur de figurants parfois masqués et utilisés de multiples façons (toujours brillantes), celle qui nous avait donné les mémorables Noir de monde et La robe de mariée de Gisèle Schmidt prouve encore à quel point elle est tristement sous-estimée. Qu’à cela ne tienne, pour le plus grand bonheur de ceux qui la suivent, elle continue à rayonner avec passion.



Parallèlement, sur scène, Julie Vincent multiple les rôles dans Valparaíso, passant de Sœur Bernard Morin à la Patriote qui prend les traits d’un homme pour pouvoir plus facilement négocier ses voyages et ses déplacements, ainsi que cette amusante Patti Lévesque, spécialiste en épigénétique invitée à donner une conférence à l’UQAM. Toujours, elle évite les caricatures et donne crédibilité à tous ses personnages. Chapeau aussi à Guillaume Champoux qui fait plus que multiplier les rôles. Il est phénoménal incarnant avec autant de crédibilité un Gaston Miron qu’un Pablo Neruda, un policier montréalais qu’un Patriote ou un artiste de cabaret excentrique et flamboyant avec son boa à plumes. Sa maîtrise de l’espagnol épate aussi et on ne se lasse pas de savourer son talent.



Les comédiennes Ximena Ferrer (Victoria), originaire d’Uruguay, et Lesly Velasquez (Valentina), originaire du Mexique, toutes deux installées à Montréal depuis moins de dix ans, prouvent que la diversité existe belle et bien au sein du théâtre montréalais, francophone, anglophone, hispanophone, polyphone. Elles sont tout à fait sublimes. Excellente aussi que Camila Forteza, comédienne québécoise au papa argentin, assistante metteure en scène, dont le rôle sur scène est plus effacé mais qui assure aussi des transitions sans faille.



Cette production à la fois rafraîchissante, divertissante, drôle et touchante aura pris cinq ans à voir le jour mais le processus de création en aura valu la chandelle. Bien que l’on se réjouisse de pouvoir voir ce spectacle intime en petits nombres à la fois, l’acoustique de la chapelle de l’Espace Fullum joue parfois des tours quand la musique de Michel Smith – belle et efficace – prend un peu trop de place. Ce détail n’est quand même rien de plus que cela : un détail. Pour le reste, Valparaíso arrive dans le paysage théâtral montréalais comme un vent de fraîcheur et il faut souhaiter que cette production vive longtemps et voyagera. Pour célébrer la diversité et le bilinguisme (celui qui confronte moins: le bilinguisme latin !).


Valparaíso de Dominick Parenteau-Lebeuf Mise en scène: Julie Vincent Assistante à la mise en scène: Camila Forteza Conseiller dramaturgique: Stéphane Lépine Interprètes: Guillaume Champoux, Ximena Ferrer, Camila Forteza, Lesly Velasquez et Julie Vincent Chœur La Traversée: Louise Aubry, Annie Couteau, Pierre-Ghislain Lafortune, Gérald Lemay et Madelaine Tremblay Scénographie, costumes et accessoires: Livia Magnani Tapisseries: Memorarte Arpilleras Urbanas Conception musicale: Michel Smith Conception éclairages, direction technique: Rodolphe St-Arneault Direction de production: Catherine Le Gall-Marchand Production Compagnie Singulier Pluriel présenté dans le cadre du Festival Phénomena 10 au 14 octobre et 19 au 23 octobre 2019 à 19h30 (approx. 1h50 sans entracte) Chapelle de l’Espace Fullum, 1431, rue Fullum, Montréal Billetterie en ligne: festivalphenomena.com Information: 514-495-1515 – www.singuliernordsudpluriel.com/nord-sud

Photos: Olivier Hardy

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