par Yanik Comeau (Comunik Média)
Le britannique Harold Pinter écrit des pièces intimes qui fouillent l’âme humaine, qui proposent des situations universelles malgré la froideur des personnages qui peut surprendre ou même aliéner le public… ou un certain pourcentage de celui-ci. Betrayal (Trahison) ne fait pas exception. Emma, Jerry et Robert ne pourraient pas être plus «pinteriens» if they tried, comme disent les Chinois (ou René Homier-Roy !). On aime ou on n’aime pas. Reste ensuite à savoir si c’est bien traduit (dans le cas qui nous occupe avec la production du Théâtre du Rideau Vert), bien monté, bien joué.
Ici, la réponse est un oui retentissant. Pas que vous entendrez beaucoup de «oui», de «non» ou grand-chose de retentissant en général dans l’œuvre de Pinter. Le récipiendaire du Nobel de Littérature 2005, décédé trois ans plus tard, n’écrit pas des pièces où les personnages s’engueulent, s’arrachent les cheveux, perdent le contrôle. On n’est pas chez Albee ou chez Tennessee Williams ici. Les personnages de Pinter sont des Britanniques typiques, presque clichés, réservés, proprets, qui ravalent leurs émotions, retiennent leurs pulsions, partagent leurs sentiments avec parcimonie, s’efforcent de bien paraître, de préserver les apparences.
Plus la pièce avance, plus le temps recule et plus le personnage de Jerry (François Létourneau) a des raisons de sourire. Photo: David Ospina)
Contrairement aux personnages de No Man’s Land que j’ai eu le plaisir de voir avec Patrick Stewart et Ian McKellen sur Broadway, ceux de Trahison ne sont pas particulièrement attachants. Ils sont tous coupables de trahison à des degrés différents et chaque spectateur – avec le bagage qu’il apporte avec lui dans la salle – les jugera en fonction de son bagage.
Au niveau de la structure, la pièce ravit également. Pinter propose une perpétuelle mise en abîme alors que les scènes nous ramènent continuellement dans le temps, de plus en plus loin dans l’histoire des personnages, un fil narratif qui recule plutôt qu’avancer, replongeant le spectateur dans le temps.
Robert (Steve Laplante), le mari d'Emma, est aussi le meilleur ami de Jerry, ce qui rend toutes ces trahisons encore plus tordues. (Photo: David Ospina).
Cela étant dit, la traduction de Maryse Warda, une de nos grandes traductrices (c’est aussi elle qui a signé la traduction de Le Bizarre Incident du chien pendant la nuit chez Duceppe et celle de Des promesses, des promesses à La Licorne, entre autres, cette saison), est aussi absolument impeccable et respectueuse de l’univers de Pinter. C’est le cas aussi de Frédéric Blanchette à la mise en scène qui évite l’écueil de vouloir trop «habiller» Pinter, de trop ajouter de fioritures, comme si le spectateur n’était pas en mesure d’apprécier le texte bien livré, nu et cru.
Julie Le Breton saisit Pinter et donne au personnage d'Emma toutes les nuances requises. (Photo: David Ospina).
Blanchette s’est bien entouré en choisissant ses comédiens et les dirige impeccablement. Julie Le Breton est sobre, retenue, comme un volcan qui n’explosera pas. François Létourneau, dans le rôle de l’amant et meilleur ami du mari qu’il cocufie, est excellent. Steve Laplante est tout aussi fascinant dans le rôle du mari trompé. Et ce qui est particulièrement intéressant et réussi, ici, à mon sens, c’est qu’Emma n’a pas choisi de tromper son mari avec un homme qui soit l’antipode de son mari au niveau physique ou au niveau de la personnalité. Le casting est excellent dans ce sens aussi.
Le décor de Pierre-Étienne Locas, inexistant dans les premières scènes, se construit sous nos yeux au même rythme que le passé des personnages. Un choix judicieux et original.Certains spectateurs pourraient donc être rebutés par l’univers de Pinter – j’en connais au moins deux ! – mais personne ne peut reprocher au Rideau Vert d’offrir une production de piètre qualité.
Les amoureux de Pinter seront comblés, ceux qui ne le connaissent pas l’aimeront ou non, mais auront néanmoins droit à une bonne soirée de théâtre.
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Trahison
Texte: Harold Pinter
Traduction : Maryse Warda
Mise en scène: Frédéric Blanchette
Avec Steve Laplante, Julie Le Breton et François Létourneau
Une production du Théâtre du Rideau Vert
Jusqu’au 9 juin 2018 (1h15 sans entracte)
Mardi, mercredi: 19h30; jeudi, vendredi: 20h; samedi: 16h; dimanche: 15h Samedi, 26 mai à 20h30
Théâtre du Rideau Vert, 4664, rue Saint-Denis, Montréal
Réservations : 514-844-1793
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