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«Titus, d’après Shakespeare»: recréer le drame

Dernière mise à jour : 1 mars 2022

par Yanik Comeau (ZoneCulture)


Tout au long de sa carrière, William Shakespeare a écrit plusieurs pièces inspirées de faits réels, de personnages historiques. On a qu’à penser à ses nombreuses œuvres sur les rois britanniques qui inspirent encore les créateurs du monde entier. Tout récemment, aussi dans la Vieille Capitale d’où nous arrivent Les Écornifleuses, Olivier Kemeid proposait Five Kings – L’Histoire de notre chute au Trident, plongeant dans les univers de deux des Richard et trois des Henri. Les pièces «romaines» de Shakespeare (à l’exception de Jules César ?), cependant, sont moins connues et moins montées, particulièrement Titus Andronicus, sans doute une des plus «grotesque[s] et indulgent[es]» de ses pièces, affirme non sans raison l’auteure et metteure en scène Édith Patenaude qui pilote l’immense paquebot qu’est cette réécriture, recréation, modernisation, féminisation très réussie, présentée à la salle principale du Prospero jusqu’au 24 février.


Dans une très amusante introduction, on nous présente les personnages et les acteurs qui les joueront. Le ton est donné. Les filles s’approprieront tous les rôles masculins et les deux gars (Anglesh Major et Guillaume Perreault) incarneront les rôles féminins, faisant fi de leurs corps poilus et musclés, n’essayant pas d’être ‘féminins’ et évitant ainsi les caricatures ridicules. Fort heureusement ! Les filles, elles, s’en donneront à cœur joie dans l’incarnation du machisme, du règne phallique, du boys will be boys et même de la misogynie – surtout quelques-unes ! – mais on leur pardonnera. Double standard ? Sans doute.



Quand on sait qu’à l’époque de Shakespeare, les femmes ne montaient pas sur scène, que tous les rôles féminins – même ceux des grandes amoureuses de l’histoire comme Juliette, Olivia, Ophélie,… - étaient incarnés par des hommes, c’est à la fois amusant et rafraîchissant d’assister à cette inversion de rôles. Ici, dans la traduction française (par opposition à ‘québécoise’) d’André Markowicz et les passages adaptés par Edith Patenaude, on est constamment sortis et replongés dans la tragédie. C’est une autre des forces de la production. Bien que déstabilisant au début, on finit par adhérer à la proposition et même à l’adopter complètement. Même quand on parle le texte français, il est prononcé à la Québécoise avec une diction relâchée qui tient de la haute voltige parce que, comme acteur, on a le réflexe de soigner la diction quand on se retrouve devant un texte ‘pointu’.

La mise en scène d’Édith Patenaude est remarquable. Je ne connaissais pas cette fille avant de la voir au Vendre ou rénover de décembre dernier, mais maintenant, j’ai envie de la suivre partout. Pas comme un stalker, rassurez-vous ! Comme un fan. J’ai hâte d’entendre ses textes, hâte de voir ses prochaines mises en scène, hâte de la voir sur scène elle-même. Dans Titus, toute l’équipe s’en donne à cœur joie et prend clairement son pied, un signe évident que la distribution toute d’un bloc est derrière son capitaine. Dans le rôle-titre, Joanie Lehoux est particulièrement forte dans les scènes tragiques alors que Marie-Hélène Lalonde, dans le rôle de Marcus, nommé empereur, le frère de Titus, est exceptionnellement amusante en colon macho dont le pénis semble entrer dans la pièce avant le reste ! Anne Trudel, dans le rôle de Lucius, ainsi que Véronique Côté et Catherine Larochelle en Démétrius et Saturninus respectivement, sont toutes éblouissantes.



Cette excellente production ne serait pas ce qu’elle est sans l’ingénieux et envoûtant apport musical de Mykalle Bielinski (dont j’ai adoré l’environnement sonore pour Le Brasier à la salle Jean-Claude-Germain il y a quelques semaines), comédienne et conceptrice sonore, qui crée une grande partie des sons elle-même, en direct, avec la collaboration des autres comédiens. Absolument fascinant !

Pendant presque deux heures, cette grosse équipe de dix comédiens nous en met plein la vue et plein les oreilles avec des interprétations féroces, des numbers de danse et de combat époustouflants (Anglesh Major bouge comme un dieu d’ébène… romain ou grec !), des ambiances tout autant chargées de violence que de trouble et de mystère, des substitutions anachroniques qui font écarquiller les yeux et rire aux éclats. Un véritable bonheur !


Mon seul regret ? Ne pas avoir écrit cette critique plus vite. Il ne reste des billets que pour les dernières représentations (vendredi et samedi) si vous voulez voir ce spectacle. Faites-vous plaisir… et si vous êtes habituellement rebutés par Shakespeare parce que vous le trouvez poussiéreux, peut-être le serez-vous moins avec cette proposition résolument tournée vers l’avenir !


Titus, d’après William Shakespeare Traduction de André Marcowicz Adaptation et mise en scène : Édith Patenaude Avec Mykalle Bielinski, Caroline Boucher Boudreau, Véronique Côté, Marie-Hélène Lalande, Catherine Larochelle, Dominique Leclerc, Joanie Lehoux, Anglesh Major, Guillaume Perreault et Annie Trudel Une production de Les Écornifleuses Jusqu’au 24 février 2018 (1h55 sans entracte) Théâtre Prospero – salle principale, 1371, rue Ontario Est, Montréal Renseignements : 514-526-6582 – theatreprospero.com

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