par Yanik Comeau (Comunik Média / ZoneCulture)
Il y a de ces auteurs qui nous surprennent à chaque détour. Larry Tremblay est de cette trempe. Il peut écrire avec un humour fin, décaper avec des mots d’une violence assassine, étonner avec des dichotomies calculées, des incongruités volontaires, une irrévérence qui fait des pieds de nez à l’Histoire. Il peut arracher le cœur du lecteur ou du spectateur autant qu’il peut l’envelopper et le cajoler avec amour. Du Dragonfly of Chicoutimi à Cantate de guerre, du Ventriloque à Panda Panda en passant par Abraham Lincoln va au théâtre et L’Orangeraie, on ne sait jamais où il va nous amener.
À l’instar de sa pièce La Hache, un puissant faux duo créé au Quat’Sous, Larry Tremblay nous transporte dans un quasi-solo avec l’adaptation théâtrale de son roman Tableau final de l’amour que la metteure en scène, nouvelle directrice d’Usine C Angela Konrad prend à bras-le-corps et livre au public avec un respect méticuleux de la riche poésie que le torturé artiste-peintre Francis Bacon a inspiré à l’auteur. Pourtant, la mise à scène n’a rien de propret, de lisse. Au contraire! La metteure en scène va loin dans son exploration du corps, de la passion charnelle, de la violence physique invoquée, éclaboussant de sang ses interprètes et la pièce rectangulaire d'un blanc immaculé qui évoque l’appartement de Bacon, celui que l’intrus George Dyer pénétrera par effraction et dans lequel il sera finalement accueilli avec moins de résistance qu’il aurait pu penser.
Pour plonger corps et âme dans cette partition d’une densité palpable, il fallait un acteur qui pouvait aller très loin dans l’exploration du jeu physique, du mouvement, tout en se fondant dans un personnage d’une intensité peu commune. Après avoir joué L’Homme éléphant, Being at Home with Claude, Hedwig, Benoît McGinnis rencontre Francis Bacon comme un alpiniste aguerri rencontre le sommet du Kilimandjaro. Appuyé par le colosse Samuël Côté, une montagne d’homme, McGinnis donne à Bacon un accent unique, un parler, une dégaine qui n’est pas la sienne. Il se fond dans le personnage à un tel point qu’on ne reconnaît presque plus sa voix, sa façon bien à lui de se mouvoir. Il atteint ici un niveau de virtuosité peu commun.
Sans tomber dans la nudité à outrance, dans un réalisme qui aurait desservi le texte, cette production, sans laisser la forme prendre le dessus sur le fond, amène le spectateur dans l’intime d’un artiste trop peu connu et lui donne le goût, après s’être remis du choc de cette histoire déchirante, de ces interprétations époustouflantes, de cette fascinante mise en scène, d’explorer et de fouiller la vie et l’œuvre de Francis Bacon. Surtout qu’il y a définitivement quelque chose dans l’air – dans l’eau? – au Québec et dans le monde pour que l’on plonge avec tant de passion dans les vies d’artistes visuels marquants: Riopelle, Basquiat, Warhol…
Benoît McGinnis attire les foules. Avec raison. Les représentations au FTA se sont remplies à la vitesse de l’éclair. Heureusement, Tableau final de l’amour reviendra à l’Usine C en septembre.
Tableau final de l’amour Texte et adaptation: Larry Tremblay Mise en scène: Angela Konrad Assistance à la mise en scène: William Durbau Interprétation: Samuël Coté et Benoît McGinnis Scénographie et lumières: Hugo Dalphond Vidéo: Alexandre Desjardins Composition sonore: Simon Gauthier Assistance à la scénographie: Chloé Depommier Direction de production: Jacinthe Nepveu Direction administrative: Charlie Julien Traduction des surtitres: Donald Winkler Opérateur de surtitres: Samuel Tétreault Production: LA FABRIK Création à l’Usine C le 18 mai 2023 Représentations dans le cadre du Festival TransAmériques : 1er, 2, 3 et 4 juin 2023 (1h20 sans entracte) COMPLET Représentations supplémentaires: 5 au 16 septembre 2023 Usine C, 1345, avenue Lalonde, Montréal Réservations : 514-521-4493 info: https://fta.ca/evenement/tableau-final-de-l-amour/ Photos: Patrice Tremblay
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