par Yanik Comeau (Comunik Média/ZoneCulture)
Je n’aurais jamais cru que je serais aussi fervent de théâtre documentaire, moi qui viens du théâtre traditionnel «fictif». Bien à tort, avant de connaître Porte Parole et ses spectacles (J’aime Hydro, L’Assemblée, Tout inclus, Rose et la Machine, ceux que j’ai vus), je croyais que le théâtre documentaire s’apparentait davantage à la télé-réalité qu’au véritable documentaire. Je l’avoue honteusement aujourd’hui en guise de mea culpa parce que le théâtre documentaire, tel que le font Porte Parole et quelques autres compagnies qui ont – ou non – pris exemple sur elle, est plutôt une autre forme de storytelling qui, malgré sa recherche exhaustive, n’est jamais platement didactique, pédagogique ou moralisateur. Et bien que, d’un spectacle à l’autre, on reconnaisse un genre de modèle typique à Porte Parole, le fait que chaque projet soit mené par un (ou deux) artiste(s) différent(s) permet à chaque spectacle de trouver son unicité.
Le théâtre documentaire a aussi comme qualité de ne jamais laisser le spectateur indifférent. Il suscite toujours de l’émotion: colère, tristesse, inconfort, révolte, outrage, impuissance… Il peut donner envie de changer les choses, de se ressaisir, de bouger.
Je ne sors jamais indemne d’un spectacle de théâtre documentaire, mais Projet Polytechnique de Jean-Marc Dalphond et Marie-Joanne Boucher aura atteint un niveau jamais égalé chez moi. Même si le spectacle est joyeusement parsemé d’humour (qui aurait cru, connaissant la thématique, non?), l’hommage aux victimes de l’horrible tuerie du 6 décembre 1989, fait avec autant de respect de leur individualité que de subtilité et de créativité, m’a fait vivre des montagnes russes d’émotion jusqu’aux dernières minutes avant l’entracte. Pendant que Jean-Marc et Marie-Joanne exploraient les lieux quelques trente ans plus tard avec l’ancien policier Jacques Duchesneau (magnifiquement joué par Stéphan Allard), je me suis liquéfié et j’ai passé les dix-neuf minutes de l’entracte – compte à rebours à l’appui - à tenter de me ressaisir, sans grand succès, pleurant et tremblant, presqu’en état de choc.
Parce que même si certaines personnes pourraient accuser le spectacle d’avoir certaines longueurs ou de s’éloigner de son propos initial en deuxième partie, il reste ni plus ni moins que Projet Polytechnique est presqu’un sans faute. Non seulement, à l’instar de J’aime Hydro, Tout inclus et Rose et la Machine sans parler de Run de Lait qui n’est pas une production Porte Parole mais quand même, suit-on de façon assez linéaire mais jamais ennuyeuse les démarches des deux créateurs qui multiplient les recherches et les rencontres avec des personnes-ressources qui leur donneront des pièces du puzzle et des informations pertinentes qui mettront en contexte dans l’ici et le maintenant, mais encore Projet Polytechnique transcende l’anecdote aussi importante et historique soit-elle.
Les forces du spectacle sont multiples en commençant par le texte de Marie-Joanne Boucher et Jean-Marc Dalfond accompagnés de Stéphan Allard et soutenus par le travail dramaturgique d’Alex Ivanovici et Annabel Soutar de Porte Parole. Ensuite, les interprètes: Marie-Joanne Boucher et Jean-Marc Dalphond jouant bien sûr leurs propres rôles avec passion et une pléiade d’émotions bien sentis, mais aussi – et je dirais presque surtout – les Cynthia Wu-Maheux, Stéphan Allard, Jules Ronfard, Lamia Benhacine et Mustapha Aramis qui multiplient les performances variées, interprétant sans caricatures et avec grande sensibilité les différents «personnages» périphériques à cette histoire ainsi que celles et ceux qui l’ont étudiée ou y ont réfléchi par la suite. Puis, il y a la musique et l’environnement sonore créé par Ludovic Bonnier, la musique jouée en direct et chantée magistralement par Estelle Esse et Julie McInnes qui viennent aussi interpréter quelques personnages. Enfin, le travail brillant de Marie-Josée Bastien à la mise en scène qui rassemble tous les éléments d’un spectacle dont les ingrédients étaient de première qualité à la base. Magnifique!
Projet Polytechnique arrive enfin à fruition, vient enfin à la rencontre de son public… et fera partie des Sorties du TNM, sillonnant le Québec pour que toute la province puisse se rappeler que les questions de misogynie, de violence envers les femmes, d’incels, de contrôle ou de perte de contrôle des armes sont toujours tristement actuelles.
Projet Polytechnique Idéation et texte: Marie-Joanne Boucher et Jean-Marc Dalfond Mise en scène: Marie-Josée Bastien Dramaturgie et collaboration au texte: Alex Ivanovici et Annabel Soutar Collaboration au texte: Stéphan Allard Assistance à la mise en scène et régie: Stéphanie Capistran-Lalonde Avec Stéphan Allard, Mustapha Aramis, Lamia Benhacine, Marie-Joanne Boucher, Jean-Marc Dalphond, Estelle Esse, Julie McInnes, Jules Ronfard et Cynthia Wu-Maheux Décor: Marie-Renée Bourget Harvey Costumes: Cynthia St-Gelais Éclairages: Étienne Boucher Vidéo: Amelia Scott Son et musique: Ludovic Bonnier Conception sonore et sonorisation: Philippe Robert Accessoires: Jeanne Lapierre Maquillages et coiffures: Justine Denoncourt-Bélanger Assistante aux costumes: Juliette Dubé-Tyler Assistance au décor et aux accessoires: Marie McNicoll Une production Porte Parole 14 novembre au 13 décembre 2023 (Durée: 2h50 avec entracte) Théâtre du Nouveau Monde, 84, rue Sainte-Catherine Ouest, Montréal Billetterie: 514-866-8668, poste 1 - https://ticket.tnm.qc.ca Photos : Yves Renaud En tournée à travers le Québec 18 janvier, 20h, Sainte-Thérèse – Théâtre Lionel-Groulx 23 janvier, 20h, Québec – Salle Albert-Rousseau 26 janvier 20h, Shawinigan – Salle Philippe-Filion du Centre des arts 3 février, 20h, Saint-Jean-sur-Richelieu, Théâtre des Deux-Rives 8 février, 20h, Saguenay – Théâtre C 11 février, 19h30, Granby – Le Palace 13 février, 20h, Sherbrooke – Salle Maurice-O’Bready 18 février, 20h, Saint-Jérôme – Théâtre Gilles-Vigneault 20 février, 19h30, Terrebonne – Salle Desjardins 13 mars, 19h, Victoriaville – Carré 150 19 mars, 19h30, L’Assomption – Théâtre Hector-Charland 28 mars, 20h, Saint-Hyacinthe – Centre des Arts Juliette-Lassonde 5 avril, 19h30, Laval – Salle André-Mathieu 10 avril, 19h, Longueuil – Salle Pratt & Whitney 23 avril, 19h, Trois-Rivières – Salle J.-Antonio-Thompson 26 et 27 avril, 20h, Gatineau – Maison de la Culture – Salle Odyssée 30 avril, 19h30, Drummondville – Maison des arts Desjardins
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