par Yanik Comeau (Comunik Média/ZoneCulture)
Très peu monté au Québec parce que souvent jugé hermétique ou trop tordu, Jean Genet semble ne faire qu’une seule exception et ce sont justement ses Bonnes, pièce riche, passionnante et peut-être plus accessible mais aussi riche terreau pour l’exploration. Après des productions mémorables signées Denise Pelletier (ben oui, qui savait qu'elle avait aussi fait de la mise en scène?), André Brassard, René Richard Cyr, Carmen Jolin, Marc Béland, voilà que la nouvelle génération s’empare de la partition pour en explorer non seulement les classes sociales mais le gouffre linguistique et économique entre madame et ses bonnes.
Souvent interprétée comme une vieille bourgeoise (Monique Mercure, Andrée Lachapelle, Louise Turcot), dans la production présentée actuellement à La Chapelle, Roxane Loumède, metteure en scène et comédienne bilingue ayant étudiée à Concordia, décide de faire de Madame une jeune «trophy wife» de Westmount (ou du moins il est sous-entendu que son mari est sans doute un riche homme d’affaires pas net et probablement beaucoup plus vieux) qui ferait penser aux Kardashian refaites, aux Housewives of avec des seins en silicone et des lèvres sérieusement «botoxées » (on ne verra ces dernières que dans une scène particulièrement criante). Ainsi, la Westmountoise jouera principalement dans la langue officielle de sa ville alors que les sœurs domestiques se partageront entre les langues de Molière, Shakespeare et Cervantès.
Adaptant non seulement pour que les trois langues soient habilement intégrées mais pour que le Québécois puisse prendre toute la place qui lui revient dans les bouches des bonnes, Roxane Loumède relève le pari risqué (sans surtitres le soir de la première) en n’abusant pourtant pas trop de la répétition pour faire passer. Comme les bonnes jouent et répètent des scènes, on adhère tout à fait à la proposition rafraîchissante.
Bien que l’accent de Marie-Ève Bérubé et Camila Forteza en anglais m’ait quelque peu agacé dans les premières minutes (je suis très sensible aux th mal ou pas prononcés, j’espère que vous me pardonnerai), j’ai rapidement fait fi de la chose et accepté que ça puisse bien servir la proposition des francophones inférieures en classe sociale. Cela étant dit, le français d’Alexandra Petrachuk dans le rôle de Madame est loin d’être sans accent non plus et ça aussi, ça sert bien la proposition. Toutes les comédiennes sont en pleine possession de la partition remaniée et l’espagnol si naturel de Camila Forteza (clairement parfaitement bilingue français-espagnol) est un véritable délice.
Avec des moyens modestes, le décor et les accessoires de Bruno Pierre Houle et les costumes de Sophie El-Assaad nous font croire au faste du manoir bourgeois. Très réussi. La caméra insérée dans le goulot de la théière qui permet aussi des projections troublantes. On aime.
Même si on s’éloigne de l’écriture originale de Genet, on se régale de l’exploration de Roxane Loumède et de son Troisième Espace Théâtre, un spectacle qui s’inscrit si parfaitement dans le mandat de plus en plus bilingue de La Chapelle, Scènes contemporaines.
Proje(c)t : Les Bonnes d’après Jean Genet
Auteure de l’adaptation et metteure en scène: Roxane Loumède
Interprétation: Alexandra Petrachuk, Camila Forteza et Marie-Ève Bérubé
Conseillère dramaturgique – français: Geneviève Gagné
Conseillère dramaturgique – espagnol: Camila Forteza
Conseiller dramaturgique – anglais: Anthony Kennedy
Son: Joseph Browne
Lumière: Catherine Fournier-Poirier
Décors et accessoires: Bruno Pierre Houle
Costumes: Sophie El-Assaad
Directeur technique et vidéo: Vladimir Alexandru Cara
Traduction et réalisation des surtitres : Elaine Normandeau
Une production Troisième Espace Théâtre
Les 6, 8, 9 et 10 septembre à 19h30 (avec surtitres bilingues) (durée: 1h10 sans entracte)
La Chapelle, Scènes Contemporaines, 3700, rue Saint-Dominique, Montréal
Réservations: 514-843-7738 – www.lachapelle.org
Photos: Phanie Éthier
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