par Yanik Comeau (Comunik Média/ZoneCulture)
Vraiment difficile pour moi de comprendre le choix de programmation, dans la saison régulière, de la pièce Le Père de Florian Zeller au Théâtre du Nouveau Monde, l’institution qui a longtemps été considérée comme le théâtre des classiques (la maison de Molière, de Shakespeare, de Racine, de Goldoni…) et qui, sous le règne de Lorraine Pintal, s’est trouvé comme slogan ingénieux «le théâtre de tous les classiques, ceux d’hier et de demain». Premièrement, parce que Le Père, deuxième volet de la trilogie du Français Florian Zeller, malgré ses qualités indéniables, ne deviendra jamais un classique et deuxièmement, parce que le dernier volet de la trilogie, Le Fils, a été présenté au Rideau Vert en début de saison 2022-2023 alors pourquoi ne pas y présenter Le Père aussi. Bon, vous me direz qu’il n’y a pas de lien entre les personnages des pièces, qu’elles sont des œuvres indépendantes, mais quand même.
La seule chose logique qui puisse expliquer la présentation du Père au TNM est mercantile. Avec le «retour» de Marc Messier au théâtre (et je mets des guillemets parce qu’on l’a quand même vu dans Broue jusqu’au printemps 2017, qu’il s’est mesuré à Mort d’un commis voyageur d’Arthur Miller au Rideau Vert à l’automne de la même année puis en tournée en 2018 avant de participer à la création de Neuf [titre provisoire] de Mani Soleymanlou (septembre 2018 et tournée) et nous présenter son spectacle solo jusqu’en septembre 2023) jumelé à celui de Catherine Trudeau, on était à peu près assuré d’un succès de box office. Qui se confirme (6 supplémentaires au moment d’écrire ces lignes). Comme ce fut le cas pour Je t’écris au milieu d’un bel orage qui a remporté un succès monstre, directement lié au retour sur scène d’Anne Dorval qu’on n’avait pas vue sur les planches depuis des lunes.
Bon, on peut se demander si Emmanuel Reichenbach, producteur chez Encore spectacle, qui signe l’adaptation québécoise du Père et dont les pièces et les autres traductions/adaptations ont été présentées au Rideau Vert, a manqué de timing et n’a pas pu trouver une place dans la programmation du théâtre dirigé par Denise Filiatrault et a ensuite décidé de se tourner vers celui que son père a dirigé de 1982 à 1992 mettant Lorraine Pintal, qui en est à son avant-dernière saison et savait sans doute déjà qu’elle tirerait sa révérence, dans une position bien délicate.
Autre choix étrange que celui d’Edith Patenaude à la mise en scène. Celle-ci avait été véhémente et enthousiaste lorsqu’elle avait parlé du bonheur qu’elle avait eu à lire cette pièce quand on lui avait proposée, mais le résultat final n’est pas à la hauteur de son talent. Avait-elle accepté dans le but de se placer les pieds pour succéder à Lorraine Pintal avant de finalement accepter la direction artistique d’Espace GO, vacante plus tôt? Dans Le Père, on reconnaît une des marques de commerce d’Edith Patenaude (jouer avec une scénographie lourde qui s’allège au fur et à mesure que le spectacle avance… Oslo, Rose et la machine, Pétrole, Un Ennemi du peuple) mais autant je la considère une des grandes directrices d’acteurs de sa génération (Titus d’après Shakespeare, Les Étés souterrains, Tremblements…), ici, je n’ai pas senti sa rigueur habituelle.
À cause de ça, le personnage d’André, incarné par Marc Messier (qui n’a pas su faire oublier son Réjean de La Petite Vie et son Bob des Boys à l’amie qui m’accompagnait), manque de définition. On peut avoir l’impression qu’on a voulu évacuer sa méchanceté, sa cruauté (volontaire ou non, à cause de l’Alzheimer’s ou non) pour le rendre plus sympathique, plus drôle, moins rébarbatif au public, à son public. Il est vrai que Florian Zeller a écrit une comédie dramatique, mais pour cette production, la comédie semble avoir pris (un peu trop?) le dessus et les points soulevés à maintes reprises par André (la perte de sa montre, la ressemblance de son infirmière avec sa fille absente, etc.) deviennent des running gags pour le public plutôt que des alertes de plus en plus tristes de la maladie. Les autres comédiens, Catherine Trudeau (nuancée et touchante), Fayolle Jean Jr. (excellente chimie avec Catherine Trudeau), Sofia Blondin (affable et généreuse), Noémie O’Farrell (mystérieuse) et Adrien Bletton (glaçant) tirent bien leur épingle du jeu.
Bien que le décor d’Odile Gamache soit très beau et que l’on comprenne la métaphore des meubles et accessoires qui disparaissent graduellement d’une scène à l’autre, les transitions sont beaucoup trop nombreuses et beaucoup trop longues ce qui ralentit considérablement le rythme du spectacle et finit par tomber royalement sur les nerfs. Tout comme l’éclairage agressant de Julie Basse dont la signature (des spots tournés vers le public qui font un cadre autour de l’aire de jeu comme elle l’avait fait entre autres dans Manuel de la vie sauvage) est beaucoup trop utilisée avec autant de transitions.
Cette production du Père m’aura fait réaliser aussi que, bien que j’aie considéré le Projet Polytechnique comme une des grandes productions que j’aie vue en 2023, celle-là non plus n’avait pas vraiment sa place dans la programmation régulière du «théâtre de tous les classiques». Le TNM doit-il revoir son plan d’affaires, sa vision artistique? Si je me fie à La Nuit des rois, Le Roman de monsieur de Molière, Le Misanthrope, Britannicus, Les Reines, Les Trois Sœurs, Abraham Lincoln va au théâtre, Bilan – même les créations qui font référence aux classiques ou à l’art comme Cher Tchekhov, Embrasse, Je t’écris au milieu d’un bel orage, La Détresse et l’Enchantement… –, je dirais non. Avec l’arrivée de la nouvelle Salle Réjean-Ducharme, vouée à la création, le TNM aura bien de la place pour les non classiques qui pourront en devenir.
Le Père de Florian Zeller
Adaptation: Emmanuel Reichenbach
Mise en scène: Edith Patenaude
Assistance à la mise en scène et régie: Adèle St-Amand
Avec Marc Messier, Catherine Trudeau, Fayolle Jean Jr., Sofia Blondin, Adrien Bletton et Noémie O’Farrell
Décor: Odile Gamache et Julie Measroch
Costumes: Cynthia St-Gelais
Éclairages: Julie Basse
Musique originale: Alexander MacSween
Accessoires: Julie Measroch
Maquillages: Sylvie Rolland Provost
Une production Encore Spectacle en collaboration avec le Théâtre du Nouveau Monde
19 mars au 13 avril 2024 (Durée: 1h30 sans entracte)
*** Supplémentaires: 14 avril 14h, 16 et 17 avril 19h30, 19 avril 20h, 20 avril 15h et 21 avril 14h
Théâtre du Nouveau Monde, 84, rue Sainte-Catherine Ouest, Montréal
Billetterie: 514-866-8668, poste 1 - https://ticket.tnm.qc.ca
Photos : Yves Renaud Tournée automne 2024: 14 septembre: Théâtre Desjardins - LaSalle 25 septembre: Salle Albert-Rousseau - Québec 3 octobre: Théâtre Lionel-Groulx - Sainte-Thérèse 5 octobre: Théâtre C - Chicoutimi 18 octobre: Le Zénith Promutuel Assurance - Saint-Eustache 20 octobre: Maison des Arts Desjardins - Drummondville 22 octobre: Salle Desjardins - Terrebonne 23 octobre: Théâtre Gilles-Vigneault - Saint-Jérôme 29 octobre: Salle Maurice-O'Bready - Sherbrooke 2 novembre: Centre culturel Desjardins - Joliette 9 novembre: Théâtre Manuvie - Brossard 22 novembre: Salle Philippe-Filion - Shawinigan 23 novembre: Centre des Arts Juliette-Lassonde - Saint-Hyacinthe
Info et billets: https://leperelapiece.ca/
Comentários