par Yanik Comeau (Comunik Média/ZoneCulture)
Après Les Serpents, That Moment – Le Pays des cons, Rita au désert, Sucré seize (huit filles), Qu’on leur donne le chaos et de nombreuses lectures, le Théâtre de l’Opsis poursuit son chemin en Territoires féminins avec Le Ciel est une belle ordure, une brillante exploration de l’univers de l’écrivaine et essayiste québécoise Catherine Mavrikakis née à Chicago en 1961. Le dramaturge Pierre Yves Lemieux, cofondateur du Théâtre de l’Opsis, qui, en plus d’avoir écrit plusieurs pièces 100% de lui, est passé maître dans l’art d’emmener des auteurs au théâtre (Voltaire, Dumas, Anne Hébert, Faulkner, Henrich Böll,…) ou de proposer des relectures d’auteurs de théâtre (Tchekhov, Shakespeare, Ibsen, Williams, Gorki, Feydeau…), plongeant dans Deuils cannibales et mélancoliques, Le Ciel de Bay City, L’Absente de tous bouquets et Ce qui restera, des romans à saveur d’autofiction de l’écrivaine traduite en plusieurs langues et récipiendaire de plusieurs honneurs, démontre encore une fois son don d’ubiquité, son empathie et sa sensibilité.
Ce qui ressort de Le Ciel est une belle ordure, c’est la richesse remarquable des personnages féminins dépeints par Mavrikakis, des personnages qu’on sent inspirés d’elle, de sa mère, des femmes et des filles qu’elle a côtoyées, détestées, mais surtout aimées. Entrecoupant les tirades de ces quatre femmes attrapées dans quatre décennies (1979, 1992, 2015 et 2023) de conversations avec leurs mères respectives toutes incarnées par la formidable Sophie Faucher, Pierre Yves Lemieux livre une partition qui demeure dynamique, vivante, qui n’ennuie jamais, traitant de sujets durs (violence – verbale et physique, maladie, deuil, amour, mort) avec tendresse et humour (souvent grinçant, cinglant, cynique mais brillamment poétique).
En entrevue, la comédienne Catherine Proulx-Lemay a dit apprécier avoir pu travailler le texte en ateliers avec la metteure en scène Luce Pelletier en présence de l’auteur ce qui a permis des remaniements de sorte que la version finale présentée en grande première avant-hier aura été bien différente de celle sur laquelle l’équipe travaillait au départ. Une chose est certaine, le résultat est concluant.
Et pour livrer ce spectacle, la metteure en scène a réuni une équipe de comédiennes toutes étoiles. Sophie Faucher, à qui l’on a confié la tâche colossale d’incarner les quatre mères, infuse à chacune une petite touche particulière en donnant de la première à la dernière seconde de la pièce une impression de facilité complètement vertigineuse. Quel bonheur de la revoir sur scène dans ces rôles sans aucun doute écrits sur mesure pour elle. Gravitant autour de cette mère acariâtre, sévère, hautaine, poule, drama queen, colorée, hilarante malgré elle, Isabelle Vincent est tout aussi drôle en écrivaine aux prises avec un éditeur qui croit tout connaître (sans parler du fait qu’elle se glisse aussi dans la peau de deux gamines, son personnage enfant et la petite voisine), Catherine Proulx-Lemay est déchirante en doctorante en littérature qui a choisi plutôt une carrière de camionneuse, Sylvie De Morais-Nogueira est puissante en jeune femme désespérée par toutes les morts qui surviennent autour d’elle au cœur de la crise du SIDA et Lou Vincent Desrosiers est solide en jeune femme rebelle qui se blinde pour affronter l’abandon de sa mère.
Luce Pelletier signe encore une fois une mise en scène modeste, un service du texte, de la poésie, de ses actrices de talent, au cœur d’un décor magnifique du grand Olivier Landreville. L’environnement sonore de Laure Anderson ajoute aussi une touche de mystère par moments, de sinistre à d’autres.
L’Opsis célèbre ses 40 ans en 2024 et réussit encore à se renouveler, à explorer des univers que l’on gagne à découvrir avec lui.
Le Ciel est une belle ordure de Pierre Yves Lemieux d’après l’œuvre de Catherine Mavrikakis
Mise en scène: Luce Pelletier
Assistance à la mise en scène: Claire L’Heureux
Avec Catherine Proulx-Lemay, Sylvie De Morais-Nogueira, Sophie Faucher, Isabelle Vincent, Lou Vincent Desrosiers
Décor: Olivier Landreville
Costumes: Caroline Poirier
Éclairages: Chantal Labonté
Son: Laure Anderson
Régie: Martine Richard
Direction de production et technique: Maryline Gagnon
Une production du Théâtre de l’Opsis en codiffusion avec le Théâtre de Quat’Sous
Du 16 janvier au 10 février 2024 (1h35 sans entracte)
Mardi et vendredi à 19h, mercredi et jeudi à 20h, samedi à 16h
Théâtre de Quat’Sous, 100, avenue des Pins Est, Montréal
Réservations: 514-845-7277
Photos: Marie-Andrée Lemire
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