par Yanik Comeau (Comunik Média / ZoneCulture)
Avec sa première œuvre théâtrale, Marie-Laurence Rancourt, artiste multidisciplinaire qui vient du monde de la radio et de la baladodiffusion, voulait créer un monologue théâtral qui serait « traversé par le surgissement fracassant du désir, de l’intensification du sentiment d’exister qu’il procure (il est irrésistible), mais aussi de l’abîme potentiellement destructeur qu’il ouvre en nous.» Voilà un argumentaire titillant et prometteur qui donne envie de voir ce que cette nouvelle venue au théâtre propose.
S’inspirant, dit-elle, à la fois d’un roman de la redoutable et puissante Annie Ernaux (prix Nobel de littérature, 2022) et de sa propre autofiction, Marie-Laurence Rancourt fait jouer à Larissa Corriveau, unique comédienne sur scène, sous forme d’émission de radio réflexive et introspective à la Par quatre chemins de Jacques Languirand, ce qui se veut un soliloque qui «traite du désir, peu importe vers quoi il est tourné, (ironie, la comédienne passe les vingt-quelque premières minutes – certains ont même dit trente – assise devant un micro de studio de radio dos tourné aux spectateurs) le désir qui est dans le débordement, la dérive loin de soi-même qui est jouissance, sachant que succomber à son désir fait toujours courir le risque d’une perte, mais aussi d’une certaine forme de libération.»
Hors, si on s’attend à un texte brûlant de passion, de sensualité, il n’en est rien. Si cette fille qui ne peut s’empêcher de se laisser aller au désir qu’elle ressent pour un homme qui n’est pas le sien devrait enflammer le spectateur, Marie-Laurence Rancourt passe complètement à côté de son objectif. Idem pour sa direction d’acteur puisque, tristement, malgré son habileté à livrer le texte, Larissa Corriveau est d’une désolante froideur qui laisse le spectateur de glace. Bien que le choix du monologue soit intéressant puisqu’il laisse au spectateur.trice le choix de se fantasmer lui/elle-même l’objet de désir de la protagoniste, l’homme irrésistible est plutôt antipathique, grossier, malpropre et désordonné, repoussant et pue la cigarette. Pourquoi?
Tout du texte et de la mise en scène font froncer les sourcils. Pourquoi aussi ce quintette de chanteuses qui apparaissent out of nowhere pour nous chanter Tainted Love de Soft Cell comme si elles étaient dans une soirée karaoké ou – comme le soulignait l’amie qui m’accompagnait – un numéro de Cégep en spectacle. Elles reviennent un peu plus tard pour reprendre une chanson d’un groupe de rap français où les parties «rapées» sont pour le moins inégales et parfois précipitées parce que l’interprète sent que le refrain approche et qu’elle n’aura pas le temps de finir… bref, non seulement ces intermèdes musicaux sont inutiles et plaqués, ils ne sont même pas vraiment transcendants.
Bien que le travail de mouvement esquissé avec l’aide de Geneviève Boulet aurait pu peut-être sortir Larissa Corriveau de sa froideur, encore une fois, le bateau est manqué.
Cette tentative «d’emprunter à ce médium [la radio (dite) classique] quelques-uns de ses «codes» et une certaine sensibilité – aux voix, au langage, aux silences – pour ensuite créer un objet théâtral à part entière» est plutôt un échec total. Surtout en ce qui concerne le désir de «créer un objet théâtral à part entière» puisque L’Écoute d’une émotion est démunie de théâtralité ou d’émotion et impose au spectateur l’écoute d’un texte qu’il aurait peut-être préféré tout simplement lire lui-même.
L’Écoute d’une émotion
Texte et mise en scène: Marie-Laurence Rancourt
Assistance à la mise en scène: Vanessa Beaupré
Avec Larissa Corriveau, Jacinthe Bellemare, Vicky Bertrand, Marie-Anick Blais, Lili Morin-Prévost et Ève Saint-Louis
Scénographie: Odile Gamache
Assistance à la scénographie: Charlie Loup S. Turcot
Lumière: Chantal Labonté
Costume: Cynthia St-Gelais
Mouvement: Geneviève Boulet
Direction musicale : Anne-Marie Voisard
Conception sonore: Daniel Capeille
Maquillage et coiffure: Sylvie Rolland Provost
Direction de production et production exécutive – Magnéto: Alexandra Boileau-Lefebvre
Régie: Sarah Merrette-Fournier
Conseiller à la production: Xavier Inchauspé
Direction technique: Félix Lefebvre
Habilleuse: Nicole Langlois
Direction de production et de création – Espace GO: Suzanne Crocker
Direction technique – Espace GO: Alex Gendron
Une création de Magnéto en coproduction avec le Théâtre Français du Centre National des Arts (Ottawa) avec la collaboration d’Espace GO
9 au 20 mai 2023 (durée: 1h15 sans entracte)
Espace Go, 4890, boulevard Saint-Laurent, Montréal.
Billets: 514-845-4890 Photos: Marlène Gélineau Payette
Comments