par Yanik Comeau (Comunik Média/ZoneCulture)
Plus que jamais depuis la pandémie, on parle de l’importance de faire de la place à la diversité culturelle, de genre, mais qu’en est-il de la relève ? Tous les théâtres sont non seulement en mutation depuis quelques années mais certains poussent les initiatives jusqu’à donner aux jeunes qui sortent de nos écoles – nombreux, nombreuses chaque année, même pendant les années où ils arrivaient dans le milieu avec AUCUN débouché parce que TOUT était fermé – des cartes blanches pour leur permettre de développer des projets dans les meilleures conditions.
C’était l’objectif de Mani Soleymanlou, nouveau directeur artistique du Théâtre français du Centre National des Arts d’Ottawa, s’associant avec le Théâtre du Rideau Vert et profitant de subventions du programme Artistes Émergents de la Fondation RBC et du Conseil des Arts du Canada, en proposant à Marie Brassard, autrice, metteure en scène, comédienne, créatrice accomplie et émérite de réunir neuf récent.e.s finissant.e.s de nos écoles de théâtre autour d’un projet de création collective qui leur permettrait de sortir de l’ombre en explorant l’ombre.
Globalement, ce qui ressort de cette page blanche donnée à Marie Brassard (pas vraiment aux comédien.ne.s qui ne sont pas nécessairement des auteur.e.s mais qui sont supposés avoir été encadrés par le travail dramaturgique de Daniel Canty) est un spectacle magnifique visuellement (les éclairages de Paul Chambers sont somptueux, les mouvements chorégraphiés sont magnifiques) et auditivement (la musique originale d’Alexander McSween, grand complice de Marie Brassard depuis quelques années, est toujours un élément qui ressort positivement des spectacles de la créatrice) mais où la forme prend beaucoup trop de place et les monologues successifs de chacun des huit interprètes (Marion Daigle est plutôt une sorte de «maîtresse de piste», d’animatrice, de présentatrice androgyne, de Puck dans Songe d’une nuit d’été qui lie les morceaux ensemble, mais pas vraiment) sont tristement oubliables et ressemblent davantage à du remplissage. Du texte pour du texte.
Le spectacle est donc un genre de collage de monologues/contes livrés par de jeunes interprètes de talent mais à qui on ne demande pas vraiment de jouer. Ils sont plutôt relégués au rôle froid de narrateur. Le spectacle s’inscrit parfaitement dans la démarche de Marie Brassard qui a l’habitude de ces spectacles sombres et froids, tristement vides d’émotion. Si les jeunes comédiennes et comédiens ont pris plaisir à développer ce spectacle avec elle, tant mieux, mais je n’y vois que très peu de mise en valeur pour elles et eux personnellement.
On ne peut que se réjouir que des institutions comme le Centre National des Arts du Canada et le Théâtre du Rideau Vert ouvrent leurs portes à la relève, aux jeunes interprètes de talent qui sortent de nos écoles (dans le cas de celles et ceux de L’Ombre, plusieurs ont déjà fait leurs preuves dans des projets beaucoup plus valorisants, je pense à David Noël qui se mesurait déjà avantageusement à la grande Ellen David dans Dracula, A Comedy of Terrors au Segal la saison dernière et à la formidable Élodie Bégin qui, après La Voix, a montré ses talents comiques avec un rôle de composition tout l’été dans Le Placard de Francis Veber et qui, heureusement, a pu mettre en valeur sa voix chantée dans L’Ombre aussi), mais peut-être gagneraient-ils à le faire en pensant leurs saisons en fonction de distributions qui leur feraient de la place comme ce fut le cas pour Émile Ouellette dans Le Fils la saison dernière au Rideau Vert et garder des spectacles comme L’Ombre pour des scènes (et des publics surtout!) tellement mieux adapté.e.s comme les salles Fred-Barry, Jean-Claude-Germain, La Chapelle, … et même la Salle Michelle-Rossignol du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui.
C’est bien beau l’innovation, mais les commentaires incroyables que j’ai entendus sortant de la bouche de spectateurs réguliers du Rideau Vert qui se trouvaient très drôles sur le trottoir après la représentation du lendemain de la première «médias» m’ont confirmé que ces excellents jeunes interprètes n’avaient pas été bien servis par ce projet.
L’Ombre du Collectif 2023
Création collective dirigée et mise en scène par Marie Brassard
Assistance à la mise en scène: Louis-Philippe Lussier
Avec Samuel Boulianne, Marion Daigle, Élodie Bégin, Ahlam Gholami, Stella Lemaine, Cassandre Loiselle, Charles-Olivier Maltais, David Noël et Kevin Pereira
Dramaturgie: Daniel Canty
Décors et accessoires: Antonin Sorel
Éclairages: Paul Chambers
Costumes: Julie Méalin
Musique et conception sonore: Alexander McSween
Une coproduction du Théâtre français du Centre National des Arts (Ottawa) et du Théâtre du Rideau Vert (Montréal) en collaboration avec Infrarouge
Du 23 août au 9 septembre 2023 (1h20 sans entracte)
Théâtre du Rideau Vert, 4664, rue Saint-Denis, Montréal
Réservations: 514-844-1793
Du 28 au 30 septembre 2023 au Théâtre Babs Asper du Centre National des Arts (Ottawa)
Billets au CNA: https://arts.nac-cna.ca/fr/production/245
Photos : Jean-François Hamelin
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