par Yanik Comeau (Comunik Média/ZoneCulture)
Le théâtre a toujours été politique, documentaire, social, revendicateur, militant. Celui de Claire Renaud et ses Précieuses fissures est un peu tout ça. Le premier projet de la jeune compagnie de théâtre féministe aura pris quatre ans à se développer, se construisant pierre par pierre, même pendant la pandémie, artistes créatrices, metteure en scène, dramaturge, interprètes/collaboratrices à la création plongeant au cœur d’un sujet épineux (la place des femmes dans le sport mais, bien au-delà, les violences de genre dans le sport, des premières olympiades de la Grèce antique au mouvement #moiaussi) et créant une œuvre théâtrale multidisciplinaire étonnamment ludique malgré ses nombreux coups de poing au plexus.
Sportriarcat, c’est le résultat d’une passionnante étude sur l’évolution – la "dévolution", les quelques révolutions gagnées à l’arrachée – des femmes dans le sport et la triste représentation des violences en tout genre auxquelles a été soumise la gent féminine. Souvent des violences physiques et sexuelles, encore plus souvent des violences psychologiques sournoises et horriblement entérinées par des sociétés qui demeuraient volontairement aveugles.
Le spectacle s’ouvre sur une superbe procession de Cariatides traînant leurs colonnes grecques, les piédestaux auxquels les femmes athlètes de la Grèce antique ne pourront jamais accéder puisqu’on apprend, dans un mini-film sur l’évolution des femmes dans l’histoire du mouvement olympique, que même quand Pierre de Coubertin pensera les Jeux Olympiques modernes, c’est dans une désolante misogynie que ce mouvement supposément voué à «contribuer à bâtir un monde pacifique au moyen du sport en promouvant la communication, le fair-play et l'entente entre les peuples» verra le jour.
Passant d’images d’archives troublantes à des représentations symboliques (théâtrales, dansées, musicales, sportives), utilisant images et métaphores souvent grinçantes pour «passer le message», Sportriarcat est un habile collage de tableaux percutants.
On aura droit à un monologue gonflé d’ironie livré brillamment par Chloé Barshee qui fait sérieusement rire jaune, à un sketch magnifique entre une mère et sa fille qui veut abandonner un sport parce que, clairement, elle subit des abus, à la traduction en surimpression vocale en direct par les excellentes interprètes des troublants témoignages de Simone Biles et ses consoeurs gymnastes olympiques devant le Congrès américain dans l’affaire Larry Nassar, à des extraits de téléjournaux (réels et fictifs), à une scène évocatrice de relais dans le transport d'un matelas qui rappelle à la fois Sisyphe et sa pierre et l'étudiante universitaire victime d'agression sexuelle qui a transporté son propre matelas partout sur son campus jusqu'à sa graduation pendant qu'on entend une triste ligne du temps, une énumération de troublantes dénonciations, accusations qui ont marqué l'époque, à un magistral tableau de nage synchronisée dansé par Marie-Reine Kabasha avec milieu d’une immense bâche de «papier métallique» représentant l’eau d’une piscine,… .
Seul bémol ? À l’entrée, on remet aux spectateurs des cocardes pour les identifier comme partisans de l’une ou l’autre des athlètes/interprètes et on leur dit qu’ils auront à se manifester comme fan du personnage en question… mais cette idée semble avoir été abandonnée en cours de création puisque dans la réalité, il n’en est rien. Le spectateur attend donc tout au long du spectacle que l’on fasse appel à lui pour crier, encourager, se manifester sans jamais que ça ne se manifeste. Un détail qui fait légèrement froncer les sourcils et qu’on ne comprend pas trop, mais qui n'est pas grave en soit non plus.
Qu’à cela ne tienne, Sportriarcat est le résultat d’un superbe travail collectif, un spectacle théâtral multidisciplinaire réunissant six interprètes formidables au cœur d’une démarche passionnante. Un copieux repas pour le cœur, l’âme, le cerveau, une œuvre artistique de grande qualité dont personne ne ressort indemne.
Sportriarcat
Création: Les précieuses fissures
Écriture de plateau et mise en scène: Claire Renaud
Dramaturgie: Andréane Roy
Assistance à la mise en scène: Geneviève Gagné
Collaboration au mouvement et chorégraphies: Marie-Reine Kabasha
Interprétation et collaboration et la création: Chloé Barshee, Laura Côté-Bilodeau, Krystina Dejean, Marie-Reine Kabasha, Geneviève Labelle et Rosalie Leblanc
Scénographie: Karine Galarneau (d’après un concept d’Alix Brenneur)
Costumes: Marie-Audrey Jacques
Conception lumières: Christina FP
Conception sonore: Kristelle Delorme
Conception vidéo: Laura-Rose R. Grenier
Coiffures et maquillages: Justine Denoncourt
Direction de production: Marie-Jeanne Beaulieu
Direction technique: Catherine Fasquelle
Assistance à la direction technique: Romane Bocquet
Régie: Marie-Frédérique Gravel et Laura-Rose R. Grenier
Production: Les précieuses fissures et codiffusé par Espace Libre
Du 14 mars au 1er avril 2023 (1h50 sans entracte)
Espace Libre, 1945, rue Fullum, Montréal
Réservations: 514-521-4191
Information: https://espacelibre.qc.ca/evenement/sportriarcat/
Photos: Maryse Boyce
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