par Yanik Comeau (Comunik Média/ZoneCulture)
Plonger dans l’œuvre singulière d’Hervé Bouchard, c’est presqu’aussi vertigineux que celles de Réjean Ducharme, Claude Gauvreau, David Goudreault. C’est une langue particulière, à la poésie unique, un univers aussi troublant qu’amusant, décapant que rafraîchissant. Parce qu’Hervé Bouchard aime les mots, aime la langue, comme l’ont aimé avant/pendant lui Michèle Lalonde, Denise Boucher, Vickie Gendreau, Samuel Beckett.
Avec sa Veuve Manchée, cette femme qui a perdu ses deux bras (comme dans l’expression «les deux bras m’ont tombé») – pas juste métaphoriquement mais pour vrai – quand son mari, le père Beaumont est mort, lui enlevant la capacité de faire ce que toute femme doit faire (être une mère, une sœur, une amie, une amante), Hervé Bouchard et les jeunes créatrices Charlotte Moffet et Charlotte Gagné-Dumais à sa suite viennent brasser les rôles sociaux, les conventions, le statut quo du statut de la femme. Cette femme encarcanée dans une robe de bois impressionnante comme la Winnie d’Oh les beaux jours! dans sa butte de terre.
Malgré de bien tristes moyens et tellement d’embuches en cours de parcours, comme l’a expliqué la metteure en scène Charlotte Gagné-Dumais aux spectateurs avant l’entrée en salle hier soir pour la première, cette production du Théâtre des Trompes est impressionnante. La scénographie (incluant le costume, cette robe de bois!) de Noémie Paquette qui sert d’écran aux projections magnifiques d’Antoine Amnotte-Dupuis, des artistes qui, encore une fois, font des miracles avec des moyens bien limités. C’est tout aussi réjouissant, impressionnant, touchant que révoltant et fâchant.
Et on ne peut pas ne pas être bouche bée devant l’interprétation marathonienne et exigeante de Marilyn Perreault, comédienne de fond, artiste multidisciplinaire honteusement sous-estimée qui, encore une fois – mais plus que jamais – épate pendant plus de 75 minutes, ne pouvant utiliser que sa tête, son visage, ses épaules pour exprimer, dans cette langue pittoresque multicouches, le florilège d’émotions de cette veuve manchée qui monologue avec nuances.
Il faut souhaiter qu’un tel spectacle, qui a connu tant de mutations avant de nous arriver sous forme de monologue sur la scène d’un des espaces de diffusion les plus innovateurs de Montréal, trouve son public. Que le public se donne la peine d’aller sur la triste ligne bleue du métro (la seule qui n’a toujours pas un seul nouveau train Bombardier-Alstom, la ligne «parent pauvre» de la STM) et fasse fi des trottoirs négligés de la rue Chabot pour dire à ces artistes: «C’est important ce que vous faites! Important pour l’art, important pour les femmes, important pour l’avenir des artistes! Nous sommes là concrètement.»
Humeurs de veuve d’après la pièce Parents et amis sont invités à y assister d’Hervé Bouchard Adaptation de Charlotte Moffet et Charlotte Gagné-Dumais Mise en scène: Charlotte Gagné-Dumais Interprète: Marilyn Perreault Conseil dramaturgique: Charlotte Moffet Conception des éclairages: Laura Dominguez Conception vidéo: Antoine Amnotte-Dupuis Conception sonore: Jo Vignola Scénographie: Noémie Paquette Collaboration à la construction du décor: Atelier Marteau Crayon Trompe associée: Jordan Chartrand Production: Théâtre des Trompes Du 18 février au 1er mars 2025 les mardis et mercredis, 19h, jeudis et vendredis 20h, samedi 15h (durée: 1h15 sans entracte) Théâtre Aux Écuries, 7285, rue Chabot, Montréal Information: https://auxecuries.com/evenements/humeurs-de-veuve/ Billetterie: https://auxecuries-vdtp.tuxedobillet.com/ Photos: Najim Chaoui / Arach’ Pictures
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