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Théâtre/danse: «Sous la nuit solitaire»: Beauté violente

Par Yanik Comeau (ZoneCulture/Comunik Média)


Rares sont les spectacles qui nous happent, nous frappent, nous heurtent, nous bousculent, nous émeuvent, nous laissent bouche bée. Rares sont les spectacles qui nous transportent à un tel point dans un univers singulier que l’on perd nos repères, toute notion du temps et de l’espace. C’est l’expérience que m’ont fait vivre Estelle Clareton et Olivier Kemeid avec leur toute nouvelle proposition, Sous la nuit solitaire, un spectacle de danse contemporaine présenté au Théâtre de Quat’Sous jusqu’au 2 décembre. Inspirés des mots de Virgile, les créateurs explorent, dans un magnifique ballet d’une violence sans merci, d’un abandon sans pareil et – ne nous méprenons pas – d’une grande théâtralité, le royaume des morts et le portail de l’Enfer. Jamais a-t-on illustré de façon aussi puissante et déchirante – avec des tableaux corporels d’une beauté aussi violente – les confins et la tristesse de l’âme, la solitude humaine au milieu de la masse.


Au cœur de ce spectacle, sept interprètes adhérant complètement à la proposition. Sept interprètes – Larissa Corriveau (qui m’a semblé tellement plus dans son élément ici que dans le Je disparais d’Arne Lygre du Prospero plus tôt cette saison), Mark Eden-Towle, Renaud Lacelle-Bourdon (que l’on verra plus tard cette saison dans le rôle-titre de L’Idiot de Dostoïevski au TNM), Nicolas Patry (que je ne me lasse pas d’admirer depuis Last Night I Dreamt that Somebody Loved Me à l’Usine C cet automne), Ève Pressault (tout aussi généreuse que dans La Femme la plus dangereuse du Québec plus tôt cette saison à Fred-Barry, un spectacle aux antipodes de celui-ci), Éric Robidoux (qui m’a complètement soufflé par la maîtrise de son abandon dans un des tableaux en particulier) et Esther Rousseau-Morin (mon coup de cœur absolu de ce spectacle dans lequel tout, mais absolument tout, en était un) – composant un tout troublant et symbiotique – qui semblent presque indissociables les uns des autres. Et que dire de «l’enrobage» dans lequel on les plonge, ces interprètes? Le décor à l’apparence si froide, si géométrique, si coupant et immuable au premier regard mais offrant une étonnante ouverture au final. Une conception de Romain Fabre, co-fondateur des Trois Tristes Tigres. La musique d’Eric Forget, huitième personnage essentiel, mystérieuse, troublante, pénétrante, froide et dure par moments, agressante et intrusive à d’autres moments. J’achèterais la bande-son. Et les éclairages de Marc Parent, sublimes, subtiles, soutenant la proposition à chaque instant.

Un seul bémol serait ces projections de phrases hermétiques qui ont clairement inspiré les créateurs au fil des semaines, des mois de développement du projet, mais qui viennent détourner le regard du spectateur et l’extirper de la puissante magie des corps qui ont tant à dire en eux-mêmes. C’est un bien petit bémol. Que je pourrais effacer en retournant voir le spectacle une deuxième fois, une troisième fois pour y découvrir certains mouvements qui m’auraient échappés tant la production est dense, riche, chargée (dans le meilleur sens du terme). Alors que je n’avais aucune attente, aucun préjugé favorable ou défavorable avant d’assister à ce spectacle, Sous la nuit solitaire s’avère un formidable petit bijou brut et poli à la fois, magnifique dans sa puissance et généreux dans son partage. Je ne vous encouragerai jamais trop à vous ouvrir à cette proposition d’Estelle Clareton et Olivier Kemeid. Sous la nuit solitaire Mise en scène: Estelle Clareton et Olivier Kemeid Chorégraphie : Estelle Clareton Avec Larissa Corriveau, Mark Eden-Towle, Renaud Lacelle-Bourdon, Nicolas Patry, Ève Presseault, Éric Robidoux et Esther Rousseau-Morin. Une coproduction de Trois Tristes Tigres et Créations Estelle Clareton en codiffusion avec le Théâtre de Quat’Sous Du 15 novembre au 2 décembre 2017 (1h sans entracte) Théâtre de Quat’Sous, 100, avenue des Pins Est, Montréal Billeterie: 514-845-7277 Photos : Romain Fabre et Antoine Quirion Couture

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