par Yanik Comeau (Comunik Média/ZoneCulture)
Le parcours d’autrice de théâtre de Marie-Claude Verdier me fascine. Après avoir découvert son écriture avec son incursion dans le monde de la science-fiction avec Seeker dans la très intime Salle Jean-Claude-Germain où elle nous projetait en 2250 au Colorado, elle nous plonge dans la Bavière de 1864, sur l’immense plateau du Théâtre Denise-Pelletier. C’est non seulement presque 400 ans et un océan qui séparent les deux pièces, les deux époques, mais encore d’importantes nuances de langues, la première dialoguée avec une langue familière, contemporaine, moderne, crue, la deuxième articulée dans la dentelle, la poésie, la démesure tout autant que la retenue. La première était une pièce intime et 100% imaginée, la deuxième est une fresque grandiose inspirée du vécu d’un jeune roi énigmatique et torturé qui aurait voulu être quelqu’un d’autre, qui était Louis/Ludwig II et qui aurait voulu être XIV.
Cette magnifique écriture, cette œuvre insufflée de beauté à la fois lumineuse et sombre, de chagrin aussi plombant que touchant, est soutenue par une scénographie évocatrice d’Odile Gamache, des costumes flamboyants de Marc Senécal et des éclairages enveloppants d’Éric Champoux. Le directeur artistique du Théâtre Denise-Pelletier, Claude Poissant, qui a signé près d’une centaine de mises en scène en carrière, semble s’être égoïstement gardé celle-ci pour donner à cette création tout l’amour qu’elle mérite. Non seulement livre-t-il un spectacle léché, riche, d’une grande beauté mais il nous rappelle qu’il est un directeur d’acteurs sensible, généreux qui permet à ses interprètes d’étendre leurs ailes, de briller.
Cette distribution, c’est – au centre – le formidable Dany Boudreault, si bien choisi pour incarner le fragile et ambigu Ludwig qui se laissera transporter par la démesure, qui s’empêchera d’aimer Paul, son aide de camp (joué par le magnifique Mikaïl Ahooja qui partage une chimie à couper le souffle avec Dany Boudreault), qui refusera l’amour de sa cousine Sophie, sœur cadette de Sissi, impératrice d’Autriche (Mary-Lee Picknell incarne les deux dans un fascinant jeu de miroirs qui reflète bien son talent). On se réjouit que Claude Poissant ait confié le rôle de la tante Alexandra, qui fait aussi office de narratrice, de maîtresse de jeu, à la puissante Annick Bergeron qu’il nous faut revoir davantage sur nos scènes. On se régale du jeu de Félix Beaulieu-Duchesneau et de Fabrice Girard qui procurent un peu de légèreté à tous ces drames. Daniel Parent, qui avait ouvert la saison avec le À cause du soleil d’Evelyne de la Chenelière, la referme avec un Richard Wagner tout aussi imbu de sa personne qu’empreint d’insécurité et de frustration alors que Maxime Genois est un excellent choix pour incarner Otto, le frère gonflé de testostérome, l’alpha mâle, l’antithèse complète de Ludwig.
La saison 2022-2023 du Théâtre Denise-Pelletier, la 59e de celui qu’on appelait la Nouvelle Compagnie Théâtrale à sa création, se ferme donc en beauté, avec de la beauté et sur un néoclassique qui aurait plu à feux Gilles Pelletier, Françoise Graton et Georges Groulx.
Châteaux du ciel de Marie-Claude Verdier
Mise en scène: Claude Poissant
Assistance à la mise en scène et régie: Andrée-Anne Garneau
Avec Mikaïl Ahooja, Félix Beaulieu-Duchesneau, Annick Bergeron, Frédéric Blanchette, Dany Boudreault, Myriam Gaboury, Maxime Genois, Fabrice Girard, Daniel Parent et Mary-Lee Picknell
Scénographie: Odile Gamache
Costumes: Marc Senécal
Lumières: Éric Champoux
Musique originale: Philippe Brault
Accessoires: Mayumi Ide-Bergeron
Maquillages et coiffures: Florence Cornet
Assistance au décor: Charlie Loup Turcot
Assistance aux costumes: Rosemarie Levasseur
Coiffures et perruques: Sarah Tremblay
Conseiller au combat: Alexander Paganov
Coach de voix: Luc Chandonnet
Une production du Théâtre Denise-Pelletier
Du 15 mars au 15 avril 2023 (1h50 sans entracte)
Théâtre Denise-Pelletier, 4353, rue Sainte-Catherine, Montréal
Réservations: 514-253-8974
Information: www.denise-pelletier.qc.ca
Photos: David Ospina
Comments