par Yanik Comeau (Comunik Média / ZoneCulture)
Soleil Launière commence son premier texte de théâtre, son monologue autobiographique Akuteu en disant au public: «Je suis agoraphobe. J’ai peur de vous.» Elle sourit. Un sourire équivoque et une respiration nerveuse qui peuvent traduire autant un trac qu’un soulagement d’être enfin sur scène (parce que cette mouture achevée d’Akuteu, peaufinée en résidence de création à la Salle Jean-Claude-Germain du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui aurait dû voir le jour bien avant aujourd’hui) que la terreur courageusement combattue d’une angoissée pour qui sortir de la maison est un défi quotidien.
Le sourire équivoque de Soleil Launière est aussi celui d’une fille qui n’en est pas une et a choisi le nom d’un astre pour mieux se reconnaître dans sa non-binarité. Le sourire d’un.e artiste innu.e à la peau trop pâle pour être reconnue dans sa communauté et pour «jouer des autochtones» à l’écran. Pas comme sa sœur qui, elle, aimerait par moments avoir « l’air moins innue». Suspendue dans le vide entre deux cultures, entre deux eaux, entre l’amour et la haine, entre la fierté et la honte, entre ciel et terre comme l’orignal suspendu que l’on saigne et qui nourrira «je sais pas combien de personnes», image qui l’a inspirée pour son premier texte solo et qu’elle reprendra habilement lorsqu’elle défilera une liste de prénoms de femmes autochtones assassinées ou disparues qu’elle dit avoir élaguée et «re-élaguée» comme un émondeur sur un arbre centenaire mais qui aurait duré des heures si elle n’avait pas éliminé d’énormes branches toutes entières.
Enfilant des fragments (le mot est bien choisi) de son histoire personnelle, de celle de sa famille, de sa kukum, entrecoupés d’extraits plus poétiques qui semblent pigés dans la tradition, l’artiste se livre avec générosité dans une scénographie qui évoque à la fois la nature (le bois, la grève,…) et l’urbain (un «quai» métallique stratifié qui s’avance vers le public et laisse passer la lumière et qui peut tout aussi bien rappeler une bouche d’air sur un trottoir). Faisant appel à toutes les facettes de l’artiste de performance qu’elle est, Soleil danse, chante, joue et ne se gêne pas pour explorer l’autodérision et les nombreux paradoxes qui parsèment son existence.
Akuteu est tout à fait à sa place dans l’intimité de la Salle Jean-Claude-Germain du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui, salle qui a souvent accueilli des spectacles auto- ou semi-autobiographiques. Je pense à Simon a toujours aimé danser de Simon Boulerice et Un Suaire en Saran Wrap de Manon Lussier. La résidence de création de Soleil Launière se poursuit alors on devrait avoir droit à un deuxième spectacle la saison prochaine. Ce sera un bonheur de découvrir où elle ira next.
Akuteu de Soleil Launière Comise en scène: Soleil Launière et Johanne Haberlin Assistance à la mise en scène et régie: Delphine Rochefort Interprétation: Soleil Launière Dramaturgie: Dany Boudreault Conception décor, costumes et accessoires: Ange Blédja Conception d’éclairages: Catherine Fournier-Poirier Conception sonore: Dominique Fils-Aimé Sonorisation: Marcin Bunar Conseil au mouvement: Louise Michel Jackson Soutien artistique: Rasili Botz Direction de production: Jasmine Kamruzzaman Direction technique: Gwenaëlle L’Heureux-Devinat, Étienne Mongrain Régie : Josianne Dulong-Savignac Une création de Production AUEN Point bleu en codiffusion avec le Centre du Théâtre d’Aujourd’hui Du 21 avril au 7 mai 2022 (1h10 sans entracte) Mardi 19h, mercredi au vendredi 20h, samedi 16h représentation spéciale en langue des signes québécoise (LSQ) le 3 mai Salle Jean-Claude-Germain – Théâtre d’Aujourd’hui, 3900, rue Saint-Denis, Montréal Billetterie: 514-282-3900 poste 1 Photos: Valérie Remise
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