par Yanik Comeau (Comunik Média)
Après avoir ouvert leur nouveau cycle Territoires Féminins avec Les Serpents, la pièce saisissante et décapante de Marie NDiaye à Espace GO la saison dernière, Luce Pelletier et le Théâtre de l’Opsis s’étaient vus obligés de taire les nombreuses voix féminines qui devaient habiter les Maisons de la Culture Rosemont-La Petite Patrie et Plateau Mont-Royal au printemps avec une série de lectures quand la première vague de COVID-19 a frappé. Ne reculant devant rien et malgré un triste déménagement de son siège social et de sa salle de répétition pendant l’été, l’Opsis a relevé le défi de rouvrir la Salle Fred-Barry avec That Moment – Le Pays des cons de la dramaturge moldave Nicoleta Esinencu, une partition cinglante à cinq voix dans laquelle l’humour déboulonne autant le communisme que le capitalisme dérapant du pays des cons, celui qui a un drapeau bleu, blanc, rouge et 50 étoiles.
À la fois politique et intimiste, anecdotique et pertinent, cocasse et troublant, personnel et universel, le texte d’Esinencu, auteure jouée pour la première fois chez nous mais déjà marquante et importante au cœur de la dramaturgie d’Europe de l’Est, est proposé presque comme un chœur de vignettes, de moments.
Dans la magnifique scénographie d’Olivier Landreville, une immense toile dépeignant un immeuble à logements drapant la scène et couvrant presque entièrement le Star Spangled Banner, les comédiens Sylvie De Morais-Nogueira, Christophe Baril, Caroline Lavigne, Daniel Parent et Léonie St-Onge occupent chacun une chaise pendant presque toute la durée du spectacle, se levant à quelques reprises seulement mais évitant pourtant tout état statique. Incarnant une multitude de personnages avec une petite inflexion de voix, une touche d’accent, un léger changement de ton, ils livrent ce texte avec une puissance et une assurance inspirantes et ravigotantes après ces mois de triste silence. Souvent sans même que leurs fesses ne quittent leurs chaises, ils expriment avec leurs corps des émotions chorégraphiées qui prendront tout leur sens dans la sublime chorégraphie griffée de Sylvain Émard en fin de spectacle. Leur agilité et leur souplesse impressionnent et indiquent clairement que confinement n’a pas été synonyme de léthargie pour eux !
Mettant plus que jamais sa direction d’acteurs au service du texte pour que brillent les mots, pétillent les syllabes, rayonne le propos, Luce Pelletier amène ses interprètes à un niveau de maîtrise impressionnant, surtout quand on pense aux conditions dans lesquelles ce spectacle a dû être monté. On ne peut que s’incliner et s’émouvoir devant ce rythme, cette force, cette complicité.
Pour la chorégraphie qui clôturera le spectacle et qui demandera beaucoup sur le plan du cardio, les acteurs-danseurs seront masqués, question de se protéger entre eux et protéger les quelque 30 spectateurs distanciés qui assistent au spectacle. On s’en émeut aussi quand on pense qu’à cause d’un zèle qui n’aurait peut-être pas dû toucher les salles de spectacle étant donné toutes ces précautions mises de l’avant pour assurer la santé et sécurité de tous… demain soir, ils donneront une deuxième représentation… devant une autre trentaine de spectateurs dans une salle qui normalement pourrait en contenir 120 et après, ils devront se taire à nouveau.
Vivement qu’ils puissent reprendre pour que plus de soixante spectateurs puissent bénéficier de cette voix féminine exprimée avec vivacité.
That Moment – Le Pays des cons de Nicoleta Esinencu Traduction : Alexandra Lazarescou Mise en scène : Luce Pelletier Chorégraphie : Sylvain Émard Interprétation: Christophe Baril, Sylvie De Morais-Nogueira, Caroline Lavigne, Daniel Parent et Léonie St-Onge Une production du Théâtre de l’Opsis Du 29 septembre au 17 octobre 2020 (50 minutes sans entracte) *** Représentations interrompues à partir du 1er octobre pour cause de #COVID-19 *** Nouvelles représentations après la 5e vague de COVID: 17 février au 12 mars 2022 Salle Fred-Barry (Théâtre Denise-Pelletier), 4353, rue Sainte-Catherine, Montréal Réservations : 514-253-8974
Photos: Suzane O'Neill
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