par Yanik Comeau (Comunik Média/ZoneCulture)
L’histoire entourant l’adaptation au théâtre de la bande dessinée Whitehorse de Samuel Cantin est presque aussi abracadabrante que le scénario même de la bande dessinée. Tout a commencé quand le comédien Guillaume Laurin, frustré d’avoir été refusé aux auditions générales de Duceppe (!), est approché par son ami Sébastien Tessier, avec qui il est en train d’adapter Whitehorse au théâtre, qui lui propose d’en faire un extrait aux auditions l’année suivante. Les directeurs de Duceppe, égaux à eux-mêmes, inventifs, réinventeurs de traditions, voient en cette comédie en devenir un véritable bijou et Jean-Simon Traversy leur dire: «Les gars, adaptez ça au complet!» C’était peu avant la pandémie. Le projet a pu se développer avec l’appui de la machine Duceppe et Couronne Nord a accouché d’une délicieuse comédie originale théâtrale (appuyée et subventionnée, chose rare dans le milieu il faut le dire), réglée au quart de tour et complètement jouissive tant pour les interprètes que pour le public, en novembre 2023 après avoir pu travailler en ateliers.
Et c’est un peu ça, le génie de Duceppe et son désir d’innovation. C’est pour ça que Duceppe s’était tournée vers Juste pour rire pour créer un partenariat qui financerait la création en comédie théâtrale suite à la reprise de Mama de Nathalie Doummar, véritable révélation de la saison 2022-2023 et nouveau classique de notre dramaturgie.
J’avais assisté avec beaucoup de plaisir à la première de la création de Whitehorse, mais pour une raison (ou plusieurs) qui m’échappe, j’avais été incapable d’en faire la critique. Comme si je ne me sentais pas à la hauteur avec mes mots. Je repoussais l’écriture de cette critique sans être capable de m’expliquer pourquoi. Et je raisonnais la chose en me disant: «Laisse-la mijoter et tu l’écriras quand la pièce reprendra l’affiche l’an prochain.» Mais après, c’est la pièce qui m’avait échappée même si le souvenir, lui, restait si heureux, si positif, si... souriant.
Parce que Whitehorse est un délirant plaisir coupable irrévérencieux qui frappe à boulets rouges sur le milieu culturel et cinématographique (pas juste québécois, je dirais même une version américanisée du cinéma québécois et du monde artistique en général) sans oublier qu’elle vient de la bande dessinée alors la scénographie, les costumes, les accessoires y font constamment des clins d’œil coquins et ingénieux.
Le personnage principal, Henri (incarné à la perfection par Sébastien Tessier, comme si le personnage avait été écrit pour lui – et, peut-être pas la bande dessinée, mais…), romancier en devenir, amoureux insécure de la magnifique Laura (sublime Charlotte Aubin), fait penser aux alter-egos de Woody Allen. Hypocondriaque pas du tout aidé par l’étrange Dre Von Strudel (toujours colorée Frédérike Bédard) et son perroquet troublant (mais tellement drôle, incarné par Éric Bernier qui manipule la marionnette), Henri va apprendre non seulement qu’il a une jambe qui rétrécit mais encore qu’il a le Syndrome de la Tortue, rare affliction qui fait qu’il sera bientôt ni plus ni moins Quasimodo… en pire! Sa jalousie et sa paranoïa, quant à elles, seront alimentées par le fait que Laura décroche le rôle principal dans le documentaire du réalisateur/weirdo Sylvain Pastrami (tellement bien joué par Guillaume Laurin) sur les caribous du Yukon. Parallèlement, y a Diego, l’ami cascadeur (joué par Patrick Emmanuel Abellard pour la reprise), Nat sa copine comédienne qui peine à trouver d’la job (Sonia Cordeau dans un rôle sur mesure pour elle), Sébastien l’enfant-acteur qui fait de l’attitude et qui se prend pas pour un 7UP flat (Oscar Desgagnés, aussi épatant cette année que l’an dernier!) et Patrick, l’assistant névrosé et anxieux de Sylvain joué par l’excellent Eric Bernier.
Whitehorse, c’est du pur bonheur, de la comédie décalée, déjantée qui nous permet de mettre le cerveau à off sans avoir l’impression d’être pris pour des tartes. De la comédie intelligente, brillante, mise en scène avec finesse par Simon Lacroix (un des fondateurs du Projet Bocal, ceux qui nous avaient donné Showtime! chez Duceppe et dont fait aussi partie Sonia Cordeau). Un spectacle qui s’avère un véritable régal, particulièrement en période de dépression saisonnière. Pas étonnant qu’à l’instar de Revue et corrigée (spectacle néanmoins totalement différent!), Whitehorse attire les foules et multiplie les supplémentaires!
Whitehorse de Guillaume Laurin, Sébastien Tessier et Samuel Cantin Mise en scène: Simon Lacroix Assistance à la mise en scène et direction de production: Antoine Rivard-Nolin Conseillère au développement: Catherine Chabot Avec Patrick Emmanuel Abellard (Vincent Kim à la création), Charlotte Aubin, Frédérike Bédard, Eric Bernier, Sonia Cordeau, Oscar Desgagnés, Guillaume Laurin et Sébastien Tessier Musique: Marc-Antoine Barbier et Élie Raymond Concepteur sonore: Arthur Champagne Scénographie: Olivia Pia Audet Costumes: Cynthia Saint-Gelais Éclairages: Joëlle LeBlanc Coiffures et maquillages: Natacha Filiatrault Une production de Couronne Nord Création: 28 novembre au 16 décembre 2023 Reprise: 4 au 15 décembre 2024 (durée: 1h30 sans entracte) Cinquième Salle, Place des arts, Montréal Billets: 514-842-2112 Info: https://duceppe.com/whitehorse/ Photos: Danny Taillon
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