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Photo du rédacteurYanik Comeau

Théâtre: «Un Ennemi du peuple» d’Henrik Ibsen: Eve Landry dans toute sa splendeur!

par Yanik Comeau (Comunik Média / ZoneCulture)

Après avoir vu ses trois dernières saisons se faire brasser au gré des mesures sanitaires gouvernementales, voyant des productions se faire interrompre et reprendre (Les Trois Sœurs), se faire transformer en laboratoires (Abraham Lincoln va au théâtre, La Nuit des rois), reporter, annuler deux fois plutôt qu’une (Lysis), le TNM est une fois de plus en mesure de déployer sa scène pour accueillir la machine qu’est cette nouvelle version contemporaine du classique d’Henrik Ibsen, Un Ennemi du peuple, revu et corrigé par Sarah Berthiaume et Edith Patenaude, le même duo dynamique derrière Les Sorcières de Salem qui ont enfin pu atterrir sur la scène du Théâtre Denise-Pelletier en novembre dernier.



Malgré le fait qu’Ibsen soit considéré comme un des pères (sinon le) de la dramaturgie moderne, il est peu joué chez nous au-delà de sa Maison de poupée qui a d’ailleurs inspiré le jeune Lucas Hnath à écrire A Doll’s House part 2 presque 140 ans plus tard. Oui, on a monté Hedda Gabler quelques fois (Lorraine Pintal deux fois : avec des étudiants puis au TNM !), Peer Gynt quelques fois et L’Ennemi du peuple qu’une seule fois y a plus de trente ans l’autre côté de la rue chez Duceppe, mais devant la limpidité et la troublante actualité de cette pièce, on est renversé de voir à quel point l’homme a été une menace pour son environnement dès les premiers balbutiements de l’industrialisation.



Après s’être amusée avec le classique de Miller, Sarah Berthiaume a déménagé ses pénates de Salem au Massachussetts vers un petit village côtier norvégien pour aller à la rencontre de Thomas et Katherine Stockmann, leurs enfants, leurs voisins, amis, concitoyens. Mais alors que c’est Thomas qui était le médecin-chef de la station thermale avec la carrure de Michel Dumont il y a trente ans, cette fois, c’est Eve Landry qui deviendra l’ennemie du peuple lorsqu’elle découvrira que les eaux médicinales que recherchent les riches touristes et qui font la fortune du village sont en réalité contaminées par une tannerie industrielle qui opère à proximité. Cette proximité n’est pas que géographique puisque – malgré les convictions inébranlables de la scientifique dont le gros bon sens est immuable – le Maire est son frère… et… les liens familiaux ne s’arrêtent pas là, mais je ne voudrais pas trop divulgâcher.



La « modernisation/féminisation » de certains rôles (l’imprimeur est aussi devenu une imprimeuse, par exemple) s’inscrit dans ce rafraîchissement de la pièce d’Ibsen qui, cependant, n’a clairement pas pris une ride si l’on constate les questions environnementales, éthiques, morales, économiques dont elle traite. L’écriture fine, efficace, percutante de Sarah Berthiaume est néanmoins explosive, coup de poing. Qu’elle écrive ses propres pièces (Yukonstyle, Nyotaimori, Antioche) ou des «adaptations», on se délecte.


Au niveau de la mise en scène, Edith Patenaude est une véritable dynamo. Dirigeant de main de maître des paquebots comme Oslo, dépouillant et réinventant de grandes œuvres comme Titus d’après Shakespeare ou nous faisant rire et pleurer en nous entraînant dans l’intimité de Rose et la machine de Maude Laurendeau, elle a néanmoins son style à elle, qu’on n’aime ou pas. J’aime. Favorisant souvent des scénographies joyeusement clinquantes mais toujours justifiées, elle semble prendre autant de plaisir à fouiller le texte avec les acteurs qu’orchestrer ses pions (qu’elle ne traite jamais comme tels!) sur l’échiquier. À cela elle ajoute des musiques originales inventives (souvent de la multi-talentueuse Mykalle Bielinski, cette fois du fascinant Josué Beaucage dont j’adore aussi les environnements), un ballet chaotique mais sans doute réglé au quart de tour pour les changements de décors entre les actes, intègre le public et l’immense salle du TNM à l’action, bref elle brasse la cage autant que le texte qu’elle met en scène.



Mais sans une distribution cinq étoiles, où serions-nous? Joyeux mélange de comédiennes et de comédiens de Montréal et de Québec qui joueront également dans la Vieille-Capitale en avril-mai, Eve Landry est époustouflante comme figure de proue, commandant l’attention et se mouvant sur scène comme on ne l’a jamais vue avant. Emmanuel Bédard (Thomas) l’appuie solidement sans se faire éclipser, crédible, héroïque, sensible. Autour d’eux, Steve Gagnon comme une petite puce énervée dans le rôle du rédacteur en chef Hovstad, drôle, curieux, Dominique Pétin (qu’on gagnerait TELLEMENT à voir davantage) en femme d’affaires, imprimeuse, un peu girouette et faussement intègre, Jean-Sébastien Ouellette (le grand frère Maire qui devient l’ennemi… de Katherine), Marianne Marceau, Kevin McCoy et Noémie O’Farrell qui complètent la famille en beauté. Avec eux, Joanie Lehoux, Éric Leblanc, Anthony Tingaud et Delphine Bertrand qui, à quatre, réussissent à créer une plèbe étonnamment nombreuse et omniprésente.


Tout de cette production est réglé au quart de tour et on se régale tant dans les moments de drame que dans les moments comiques. On se questionne sur les motifs des personnages, sur les revirements de situation, on se demande si l’un ou l’autre est une girouette ou juste un être intelligent capable de voir le point de vue de l’autre. Vous savez? Comme on devrait faire mais qu’on ne fait pas assez dans la vraie vie? Pas de doute qu’Un Ennemi du peuple n’est PAS un texte poussiéreux datant d’une époque révolue.


Un Ennemi du peuple d’Henrik Ibsen Adaptation: Sarah Berthiaume Mise en scène: Edith Patenaude Assistance à la mise en scène: Caroline Boucher-Boudreau Avec Emmanuel Bédard, Delphine Bertrand, Steve Gagnon, Eve Landry, Éric Leblanc, Joanie Lehoux, Roméo Lucas ou Viktor Proulx (en alternance), Marianne Marceau, Kevin McCoy, Noémie O’Farrell, Jean-Sébastien Ouellette, Dominique Pétin et Anthony Tingaud Décor: Odile Gamache Costumes: Cynthia St-Gelais Éclairages: Jean-François Labbé Musique originale: Josué Beaucage Maquillages: Florence Cornet Accessoires: Suzel D. Smith Une coproduction du Théâtre du Nouveau Monde et du Théâtre du Trident 16 mars au 9 avril 2022 (Durée: 2h15 + entracte) 19 avril au 14 mai 2022 (au Trident) Théâtre du Nouveau Monde, 84, rue Sainte-Catherine Ouest, Montréal Billetterie: 514-866-8668, poste 1 - https://billets.tnm.qc.ca/tnm/#/69b93c64-1926-462a-8f4a-8b0795b8fc81/shop/select?fac=TNM&locale=fr-CA&skin=tnm Photos: Yves Renaud

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