par Yanik Comeau (Comunik Média/ZoneCulture)
Dès son arrivée à la direction artistique du Théâtre de Quat’Sous, Pierre Bernard a renversé tout le monde avec ses choix audacieux et rafraîchissants. C’est lui qui a confié à Françoise Faucher sa première mise en scène (Elvire Jouvet 40), à Michel Tremblay aussi (Nature morte de Serge Boucher – il n’en a pas fait d’autres!), c’est sous sa direction que Denys Arcand a dirigé Anne Dorval dans Les Lettres de la religieuse portugaise. Et c’est lui qui a dirigé deux jeunes acteurs prometteurs, Sylvie Drapeau et Luc Picard, dans Traces d’étoiles de Cindy Lou Johnson qu’il avait confiée à traduire à Maryse Warda qui n’avait jamais fait ça. Pierre Bernard était un visionnaire. Maryse Warda est devenue une de nos plus grandes traductrices d’œuvres dramatiques.
Tout aussi visionnaire, Denise Filiatrault ouvre la porte à une nouvelle production, trente et un ans plus tard, ramenant Pierre Bernard à la mise en scène, lui qui s’est plutôt consacré ces dernières années à la direction artistique et au conseil artistique (pour Juste pour rire, entre autres), pour qu’il remonte cette pièce – toujours dans la traduction impeccable de Maryse Warda (qui n’a pas pris une ride – la pièce et la traduction! – la toujours magnifique Maryse vous dira sans doute qu’elle a vieilli un peu!) – avec deux autres jeunes comédiens qui n’en sont pas à leurs premiers pas au théâtre mais qui n’ont certes jamais eu une partition aussi exigeante à livrer.
Au bout du compte, Emile Schneider devra se désister pour des raisons de santé et un comédien un peu plus vieux – on pourrait même aller jusqu'à dire chevronné – Maxim Gaudette prendra la relève quelques semaines à peine avant la première pour donner la réplique à Mylène Mackay qu’on a surtout vue à la télé et au cinéma (Nelly, Les Fleurs oubliées, La Bolduc, Faits divers, Mensonges, Escouade 99, Sans rendez-vous…) et très peu au théâtre (Bonjour, là, bonjour, Chansons pour filles et garçons perdus).
Encore une fois, la magie opère. Dès que Mylène Mackay fait irruption dans la maison de Henry Harry dans sa robe de mariée, elle est Rosannah DeLuce, la jeune femme paumée qui a laissé son fiancé à l’autel en Arizona pour conduire comme une perdue – au sens littéraire tout autant qu’au figuré – jusqu’au fin fond de l’Alaska pour fuir, fuir, fuir, se réfugier peu importe où, au milieu de nulle part, où personne ne la connaît. Remplir les chaussures bordées de dentelle à 2000$ chaussées au Québec que par Sylvie Drapeau à Montréal et Linda Laplante à Québec, c’est pas rien. Pourtant, Mylène Mackay est renversante de vérité, d’aplomb, de trouble, d’égarement, s’appropriant tout à fait le personnage et faisant complètement oublier ses prédécesseures dès les premières minutes.
Si on n’avait pas su que Maxim Gaudette avait accepté d’être parachuté au cœur de ce projet à la dernière minute, on n’aurait sans doute pas senti qu’il semblait marcher sur une corde raide au lendemain de la première (j’ai assisté à la représentation du premier vendredi) mais cette préparation en accéléré aura peut-être même permis à l’acteur d’expérience (Racine, Tchekhov, Viripaev, Steinbeck, Camus…) de livrer une de ses performances les plus mémorables en carrière. C’est un véritable tour de force de virtuose qui se déploie devant nous.
Encore une fois, Pierre Bernard montre à quel point il est un grand metteur en scène, un directeur d’acteurs d’une grande sensibilité. Il donne à ses interprètes tous les outils qu’ils ont besoin pour briller. Il fait appel encore une fois à Daniel Castonguay pour créer un décor déstabilisant – figurativement et littéralement –, un plateau en pente qui rappelle certaines mises en scène du grand Brassard aussi.
Malgré que nous soyons en mai, même si ce n’est pas un mai très chaud, la production arrive à nous faire croire à une horrible tempête de neige à l’extérieur, un white out qui gronde et qui mettrait des vies en péril. À l’intérieur, les vies de Henry et de Rosannah grondent aussi, sens dessus-dessous, et dans la salle, malgré quelques détestables spectatrices qui auraient peut-être dû rester dans leur salon si elles voulaient consulter trois fois leurs courriels sur leurs téléphones ou passer leur temps à fouiller dans leur sac à main, les spectateurs sont rivés sur l’impeccable duo réuni pour leur faire vivre un moment de théâtre inoubliable.
Traces d’étoiles de Cindy Lou Johnson Traduction: Maryse Warda Mise en scène: Pierre Bernard Assistante à la mise en scène: Marie-Hélène Dufort Avec Mylène McKay et Maxim Gaudette Scénographie: Daniel Castonguay Éclairages: Julie Basse Costumes: Elen Ewing Musique: Simon Leoza Assistance aux décors et accessoires: Camille Jupa Maquillages et coiffures: Justine Denoncourt-Bélanger Une production du Théâtre du Rideau Vert Du 9 mai au 10 juin 2023 (1h30 sans entracte) Théâtre du Rideau Vert, 4664, rue Saint-Denis, Montréal Réservations: 514-844-1793 Photos : François Laplante Delagrave
Bravo Maryse Warda !