par Yanik Comeau (Comunik Média)
En apprenant l’existence de Hrotsvitha de Gandersheim, «figure médiévale», poétesse et chanoinesse, la metteure en scène Mia van Leeuwen découvrait aussi que cette artiste importante avait été la première auteure de théâtre féminine et que ses pièces étaient presque jamais montées, ce qui la reléguait aux oubliettes et n’en faisait qu’une note de bas de page dans l’histoire du théâtre. Il semblerait que cela arrive beaucoup plus que nous le souhaiterions, pas seulement dans l’histoire en général mais dans toutes les formes d’art – visuel autant que de la scène, apparemment, si l’on se fie à ce que l’on entend des conservateurs de musées tout autant que des experts en musique classique comme Paolo Pietropaolo de la CBC qui se désole du peu de place que l’on fait aux compositrices dans l’histoire de la musique. Alors on ne peut que se réjouir que van Leeuwen ait mis la main sur Sapientia, une œuvre originalement écrite en Latin, et qu’elle ait entrepris de la porter à la scène, parce qu’il s’agit là d’une pièce qui mérite d’être vue tout autant que celles d’Aristophane, d’Euripide ou de Sophocle.
Transposer cette pièce de théâtre colossale, dégoulinante de violence et de sang, en un théâtre d’objet efficace, amusant et irrévérencieux relève du génie. Je suis fan de théâtre d’objets depuis que j’ai eu la chance de découvrir quelques spectacles du Théâtre de la Pire Espèce (Persée et Ubu sur la table ainsi que, plus récemment, L’Effet Hyde qui intègre aussi ce medium à la marionnette), et lorsque c’est fait avec finesse et doigté, comme c’est le cas dans le cas de la production de Sapientia dirigée par van Leeuwen, seuls les plus froids et sans-cœur peuvent résister.
Sapientia raconte l’histoire d’une femme forte, une mère dévote et dévouée, Sapientia (incarnée avec brio par la codirectrice artistique de Scapegoat Carnivale Alison Darcy derrière un joli miroir sur pied) et ses trois filles virginales (Faith, Hope et Charity (Foi, Espoir et Charité, des noms qui n’ont pas été choisis au hasard), apparaissant sous forme de tasses de thé avec soucoupe assortie et la formidable Alexandra Petrachuk qui leur prête sa voix) arrivant devant l’empereur romain Hadrian (une cafetière espresso animée par l’artiste multidisciplinaire de Vancouver Robert Leveroos, talentueux et charismatique) qui ordonne leur exécution aux mains d’Antioche, incarné par l’excellent marionnettiste et acteur Paul Van Dyck manipulant une lampe de poche flexible!
Mis en scène avec précision et finesse, le spectacle intègre brillamment la musique avec le multi-instrumentiste et concepteur sonore Evan Stepanian qui fait un travail formidable en manipulant lui aussi des objets du quotidien. Les éclairages minimalistes mais ingénieux de Bruno-Pierre Houle se marient à merveille à la scénographie inventive et habile de Leveroos.
La production de Sapientia que propose ici Scapegoat Carnivale correspond tellement à ce que les mordus de théâtre passionnés et ouverts d’esprit recherchent: des spectacles intelligents, irrévérencieux, imaginatifs, émergeants d’un travail d’équipe débordant de créativité et de passion contagieuse. Cette production mérite d’être présentée devant des salles combles (surtout dans une salle aussi intime que le Minimain du MainLine) et d’être diffusée à grande échelle pour que plus de spectateurs puissent découvrir la première dramaturge féminine de l’histoire de l’humanité ainsi que les productions brillantes d’une compagnie qui crée des projets originaux et rassembleurs.Sapientia propose 45 minutes de joie théâtrale pure que vous n’oublierez jamais et qui vous mettra un sourire au visage à la sortie du théâtre. Et pourquoi ne pas en faire une version française à partir de la même production? Le public francophone saurait sans aucun doute, lui aussi, apprécier ce spectacle.
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Sapientia de Hroswitha de Gandersheim (production en anglais) Traduction littérale du Latin: Lynn Kozak Adaptation: Joseph Shragge Mise en scène: Mia van Leeuwen Distribution: Alison Darcy, Robert Leveroos, Alexandra Petrachuk and Paul Van Dyck
Musicien: Evan Stepanian Une production Scapegoat Carnivale Theatre 16 au 18 août 2018, 20h, 19, 25 et 26 août, 2018, 14h (Durée: 45 minutes, sans entracte)
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