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Théâtre: «S’enjailler» de Stephie Mazunya: Sœurs de sang

par Yanik Comeau (Comunik Média / ZoneCulture)


   Depuis quelques saisons, le Centre du Théâtre d’Aujourd’hui – et particulièrement sa Salle Jean-Claude-Germain – élargit le concept de «centre de création en théâtre québécois» auquel son cofondateur dont la petite salle porte désormais le nom avait donné ses lettres de noblesse. De plus en plus, le théâtre québécois se diversifie, se métisse, s’internationalise, s’ouvre sur le monde et le CTDA reflète cette «ouverture» sur le monde, particulièrement depuis trois ans, pour le meilleur et pour le pire.



   Je dis pour le meilleur et pour le pire parce que, comme le reflètent certaines critiques que j’ai faites ces dernières saisons, cette ouverture n’est pas toujours heureuse. Pas toujours heureuse parce que parfois, on a l’impression que l’on offre la scène à des artistes parce qu’ils cochent des cases plutôt que parce que leur projet artistique le mérite. Bien sûr, il y a plusieurs facteurs qui composent une saison, mais cette année, cette diversité aura été poussée peut-être trop loin et l’équilibre aura été compromis.



   Heureusement, bien que S’enjailler, la première création de Porte débarrée, coche plusieurs cases (diversité culturelle, minorités visibles, femmes, orientation sexuelle), le premier texte de la comédienne Stephie Mazunya est tout aussi pertinent que divertissant, percutant que ludique. Pour l’homme blanc cisgenre que je suis, plonger dans l’univers de quatre amies afro-descendantes québécoises dépareillées est un dépaysement familier. Familier parce que je me rends compte de l’universalité des propos de ces millénariales bilingues qui parlent de menstruations, de famille, d’avortement, de circoncision, de fibromes, d’achat local, de racisme, d’amour interracial, de solidarité économique et sociale, de couples, de religion, de musique, de diversité, de sexualité et d'homosexualité dans une langue métissée, décomplexée, d’aujourd’hui (que certains puristes trouveront peut-être trop bilingue mais à laquelle on ne peut pas reprocher la vérité) ne sont finalement pas si loin de moi parce qu’elles sont, après tout, humaines.



   Que Stephie Mazunya ait confié la mise en scène de sa pièce à Sophie Cadieux pourrait étonner mais pas tant quand on sait que cette dernière l’a déjà dirigée dans Nassara de Carole Fréchette dans la Salle Michelle-Rossignol il y a deux saisons. Le point de vue d’une femme blanche? Pas tant. Plutôt le travail d’une bonne directrice d’acteurs qui s’est laissée porter dans sa mise en scène par un texte solide écrit par une autrice néophyte, soit, mais qui a fait appel à Tamara Nguyen et Rébecca Déraspe à la dramaturgie. C’est pas rien.



   Avec S’enjailler, Stephie Mazunya se fait plaisir, mais au-delà de ça, rend hommage à la sororité, crie tout doucement son besoin de parler des vraies affaires, les siennes, celles de sa communauté, celles des filles de son âge. Pour le faire, elle s’entoure d’une distribution solide, de filles qui ont vraiment l’air d’être tissées serrées, de comédiennes fortes et dont les personnages ont clairement été écrits sur mesure. Non seulement Stephie Mazunya est elle excellente dans le rôle de l’amie virginale, catholique aux parents africains ultra-traditionnelles, mais elle est superbement épaulée et balancée par la formidable Carla Mezquita Honhon (L’Éveil du printemps, Un.deux.trois, N’essuie jamais de larmes sans gants) dans le rôle de la féministe nuancée, musulmane prise avec des problèmes de santé, la colorée Malube Uhindu-Gingala qui incarne la rappeuse bad ass bisexuelle et Naïla Louidort qui joue la Miss Parfaite qui aura besoin de sortir du cadre étouffant qu’est devenue son existence.



   Il serait fou de bouder son plaisir quand la Salle Jean-Claude-Germain remplit aussi bien son mandat et respecte ses origines tout en cochant les cases.


S’enjailler de Stephie Mazunya

Mise en scène: Sophie Cadieux

Assistance à la mise en scène: Mathilde Boudreau

Interprétation: Naïla Louidort, Stephie Mazunya, Carla Mezquita Honhon et Malube Uhindu-Gingala

Dramaturgie: Rébecca Déraspe et Tamara Nguyen

Scénographie: Maria Carvajal

Lumière: Martin Sirois

Environnement sonore: Elena Stoodley

Vidéo: Miryam Charles

Costumes: Marie-Audrey Jacques

Maquillages et coiffures: Gabbie McGuire

Intégration vidéo: Vladimir Cara

Direction de production: Mathilde Boudreau avec la collaboration de Gabriel.le Lepage et Kitana Zephir

Régie générale et direction technique: Romane Bocquet

Confection des décors: Tamara Hurtado et Susana Pauw

Équipe technique: Enes Ammar, Laure Anderson, Sarah-Maude Boulet, Vladimir Cara, Laurianne Fecteau Pageau, Emmanuel Grenier et Marie Lépine

Une création de Porte débarrée en codiffusion avec le Centre du Théâtre d’Aujourd’hui

Du 15 avril au 11 mai 2024 (1h30 sans entracte)

Mardi et mercredi 19h, jeudi et vendredi 20h, samedi 27 avril, 4 mai, 11 mai 15h

*** Supplémentaires samedi 27 avril 20h, dimanche 28 avril 15h COMPLET, samedi 4 mai 20h

Salle Jean-Claude-Germain – Théâtre d’Aujourd’hui, 3900, rue Saint-Denis, Montréal

Billetterie: 514-282-3900 poste 1

Photos: Valérie Remise

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