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Théâtre: «Quatre Filles» de Julie-Anne Ranger-Beauregard: Formidables!

par Yanik Comeau (Comunik Média / ZoneCulture)

Depuis (presque) toujours – et la Nouvelle Compagnie Théâtrale fêtera ses 60 ans dans deux ans –, le Théâtre Denise-Pelletier se fait un devoir de non seulement faire découvrir aux jeunes les grandes œuvres du répertoire théâtral mais encore les œuvres littéraires (et parfois même cinématographiques) qu’il transpose à la scène. D’Homère à George Orwell en passant par Alexandre Dumas père, Anne Hébert, Robert Louis Stevenson ou Agatha Christie, entre autres, les grands romans, si l’on accepte de les triturer pour des questions de temps et d’espace, peuvent devenir des œuvres théâtrales mémorables.


Cette année, à cause de la pandémie et les tours qu’elle a joués aux programmations annuelles, Claude Poissant, qui avoue aimer l’idée d’offrir une adaptation de roman par saison, s’est retrouvé avec trois romans sur quatre pièces programmées ! Après sa mémorable Métamorphose de Kafka en début de saison et Les Plouffe de Roger Lemelin qui auraient dû enfin être présentés en janvier après leur série de représentations au Trident, voilà que la saison se termine sur les Quatre Filles que Julie-Anne Ranger-Beauregard adapte des Little Women de Louisa May Alcott, un classique de la littérature américaine au même titre que le To Kill A Mockingbird de Harper Lee ou le Moby Dick de Herman Melville.


Publié originalement en deux volumes qui faisaient plus de 750 pages, Little Women est une vaste saga au même titre que les œuvres des sœurs Brönte ou de Jane Austen. À ce titre, parce qu’écrites par des femmes et mettant en vedette des personnages féminins forts, on aurait tendance à croire – à tort – qu’elles ne plairaient qu’aux filles. Il me faut avouer ici que j’avais de tels préjugés avant de me rendre au Théâtre Denise-Pelletier la semaine dernière, moi qui ne connaissais des Little Women que leurs petits noms.



Les sœurs March – Meg, Jo, Beth et Amy – sont aussi dépareillées que soudées par leur lien de sang. Pour les besoins d’une distribution théâtrale réduite, l’auteure a éliminé leur mère, elles qui étaient déjà orphelines de père dans le roman. Les puristes pourraient s’en offenser (particulièrement ceux qui ont apprécié les adaptations cinématographiques de 1994 avec Susan Sarandon ou de 2019 avec Laura Dern dans le rôle de Marmee) mais pour avoir vu le spectacle avec une fan finie de cette histoire intemporelle, il semble que le choix de Julie-Anne Ranger-Beauregard ne relève pas tant du blasphème. D’autant plus que Dominique Quesnel, qui incarne la pittoresque tante Marge March (dites ça dix fois sans que la langue vous fourche, je vous défie – d’ailleurs, l’auteure évitera le piège en l’appelant «tante Marge», «tante March», jamais les deux !), comble le rôle de figure maternelle à la fois dure et comique, procurant aux jeunes femmes, ses nièces, tout ce qu’il faut pour rebondir, en groupe ou individuellement.



On pourra aussi s’étonner que le seul personnage masculin que Julie-Anne Ranger-Beauregard ait choisi d’incarner soit le jeune Theodore Lawrence (dit parfois Teddy, parfois Laurie). D’ailleurs, je me suis demandé si l’excellent Mattis Savard-Verhoeven n’aurait pas pu jouer aussi John Brook, le fiancé de Meg, l’aînée romantique, mais l’habile travail de mise en scène de Louis-Karl Tremblay (que j’avais découvert avec bonheur avec Les Coleman-Millaire-Fortin-Campbell à la Salle Fred-Barry juste à côté au cours de la saison 2018-2019) nous fait rapidement accepter ce choix.



Dirigeant de main de maître son excellente distribution et faisant des choix judicieux et originaux tout autant qu’agréables pour les yeux, Louis-Karl Tremblay livre un spectacle d’une grande beauté et d’une efficacité redoutable. Le rythme soutenu et le bel équilibre entre poignant et hilarant s’avèrent rassembleurs et séduisants. Autant on s’esclaffe à plusieurs reprises devant les répliques délicieuses de Julie-Anne Ranger-Beauregard autant on sent notre cœur se serrer et les larmes nous monter aux yeux aussi. 110 minutes qui passent très vite !




Et que dire de ce formidable quatuor de filles? L’énergie et la vivacité de Rose-Anne Déry dans le rôle de l’écrivaine Joséphine (qui préfère Jo parce qu’elle n’a rien de la «phine» que l’on attacherait à ses fourneaux et qui renoncerait à sa liberté) sont remarquables, elle qu’on a pu déjà apprécier dans Le Terrier de David Lindsay-Abaire à Fred-Barry et chez Duceppe et dans l’inoubliable Table rase de Catherine Chabot à Espace Libre. On s’extasie devant la grâce et la sensibilité de Clara Prévost dans le rôle de Meg, elle dont j’avais découvert le jeu et l’écriture dans La Place Rouge, toujours à Fred-Barry. Sarah Anne Parent est touchante de vérité dans le rôle de Beth, la pianiste fragile et Laetitia Isambert semble être née pour jouer Amy, le bébé de la famille, celle qu’on a tout autant envie d’étrangler que de prendre dans nos bras et rassurer.


Dans une scénographie modulaire aux profondeurs multiples assortie de plateformes qui peuvent faire entrer et sortir les différents décors, les demoiselles March (les jeunes comme la «vieille-fille») et le débonnaire et espiègle Laurie (subtile et charismatique Mattis Savard-Verhoeven, une belle découverte) incarnent à merveille le Massachussetts du 19e siècle et pas de doute que Louisa May Alcott se délecterait des libertés prises par cette belle production québécoise qui pourrait être traduite et jouée partout.


Quatre Filles d’après Little Women de Louisa May Alcott

Adaptation: Julie-Anne Ranger-Beauregard

Mise en scène: Louis-Karl Tremblay

Assistance à la mise en scène: Alexandra Sutto

Avec Rose-Anne Déry, Clara Prévost, Sarah Anne Parent, Laetitia Isambert, Dominique Quesnel et Mattis Savard-Verhoeven

Scénographie: Karine Galarneau

Costumes: Linda Brunelle

Éclairages: Robin Kittel-Ouimet

Conception sonore: Antoine Bédard

Accessoires: Angela Rassenti

Coiffures et maquillages: Justine Denoncourt

Mouvement: Marilyn Daoust

Une production du Théâtre Denise-Pelletier

Du 16 mars au 9 avril 2022 (1h50 sans entracte)

Théâtre Denise-Pelletier, 4353, rue Sainte-Catherine, Montréal

Réservations: 514-253-8974

Photos: Gunther Gamper

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