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Théâtre: «Mademoiselle Julie» d’August Strindberg: Un défi pour Magalie

par Yanik Comeau (Comunik Média / ZoneCulture)

Deux ans après la première prévue interrompue par le confinement et se soldant par une captation radio pour ICI.Première, la Mademoiselle Julie du duo Serge Denoncourt/Magalie Lépine-Blondeau foule enfin les planches du Théâtre du Rideau Vert. Production très attendue parce que, sur papier, elle avait tout pour plaire, on accueille néanmoins le classique de Strindberg avec des bémols.



Alors qu’on tente de justifier le choix de monter cette pièce du notoire sexiste suédois en faisant croire que Mademoiselle Julie est une féministe avant son temps qui assume sa sexualité et ne se gêne pas pour s’adonner sans vergogne à de sensuels jeux de pouvoir et de flirt, ce n’est pas du tout ce que la pièce de Strindberg démontre et l’adaptation de Denoncourt ne fait rien pour aider la pauvre fille pathétique à prendre le contrôle de la situation. Bien au contraire ! Dès les premières répliques, l’auteur met la table en qualifiant l’aristocrate de «folle» (charmant mysogyne qu'il est!). Si la scène de baisage de botte vient clairement établir la soif de pouvoir de la jeune dame et un certain fétichisme moins clair (les pieds, le cuir, le domestique à genou ? Choix de Denoncourt de baiser la botte plutôt que le pied ?), la folie déjà annoncée sera on ne peut plus limpide après que la «jeune femme» ait succombé à ses bas instincts.



Dire qu’il s’agisse d’un véritable jeu de chat et de souris dans lequel on ne sait pas trop qui est quoi est certes assez juste. C’est sans doute dans cela que réside une grande partie de l’intérêt de la pièce. Que la pièce résonne en cette période trouble de la race humaine avec la pandémie qui a érodé notre santé mentale, passe encore. Que mademoiselle Julie soit «l'un des, sinon le plus grand rôle féminin du répertoire théâtral» dixit Magalie Lépine-Blondeau, je veux bien. Que l’on n’ait pas besoin de justifier vouloir remonter de «grands classiques» sans avoir à constamment expliquer son choix, la pertinence, la contemporanéité de l’œuvre, je préférerais parce que, parfois, quand on tente trop de justifier, on s’enfarge dans les fleurs du tapis.



Que Denise Filiatrault ait eu envie de rassembler Sylvie Drapeau et Luc Picard autour de ce texte dans l’adaptation de Boris Vian il y a presque trente ans sur la même scène du Rideau Vert, soit. Qu’elle le trouve toujours assez engageant aujourd’hui pour dire oui à un des nouveaux power couples de notre théâtre (Denoncourt et sa comédienne fétiche), d’accord. Mais appelons un chat un chat. On monte Mademoiselle Julie parce que c’est sur la bucket list de Magalie Lépine-Blondeau, excellente comédienne, chouchou du public. Y a rien de mal à ça.


À mon avis, cependant, dans le cas de cette production du Rideau Vert, certains choix de mise en scène pourraient être remis en question. On n’était pas là, en salle de répétition, mais Serge Denoncourt a-t-il laissé aller sa comédienne trop loin dans la folie sans la retenir? Lui a-t-il lui-même demandé d’aller plus loin? L’a-t-il poussée dans ses derniers retranchements? Malgré son talent indéniable, a-t-il fait basculer la comédienne dans des moments qui frôlent la caricature? La question se pose.


Aucun doute que les trois comédiens, Magalie en tête, David Boutin et Kim Despatis (cette dernière absolument formidable!), étaient prêts à rencontrer le public. Ils étaient comme des chevaux de course qu’on aurait presque rendus fous dans le box avant de les lâcher lousse. Le résultat est certes saisissant mais troublant dans le cas de Magalie, inégal dans le cas de David et sublime de nuances dans le cas de Kim.



Le soir de l’avant-première, le public ne savait plus trop comment interpréter les scènes de folie de Mademoiselle Julie mais a néanmoins accordé un accueil chaleureux à cette production léchée, élégante, efficace. Malgré les questions. Qui sont peut-être seulement les miennes.


Mademoiselle Julie d’August Strindberg

Adaptation et mise en scène: Serge Denoncourt

Assistante à la mise en scène: Suzanne Crocker

Avec Magalie Lépine-Blondeau, David Boutin et Kim Despatis

Décor: Guillaume Lord

Costumes: Ginette Noiseux

Éclairages: Julie Basse

Musique: Laurier Rajotte

Accessoires: Julie Measroch

Maquillages et coiffures: Amélie Bruneau-Longpré

Une production du Théâtre du Rideau Vert

Du 15 mars au 16 avril 2022 (1h30 sans entracte)

Théâtre du Rideau Vert, 4664, rue Saint-Denis, Montréal

Réservations: 514-844-1793

Photos : François Laplante Delagrave

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