par Yanik Comeau (Comunik Média/ZoneCulture)
Le Théâtre du Nouveau Monde, la maison montréalaise de Jean-Baptiste Poquelin depuis sa fondation (avec L’Avare en 1951 lorsque le TNM n’avait pas encore de domicile fixe), avait l’habitude, presque chaque saison puis graduellement aux deux ans et moins, mais progressivement – comme s’il ne fallait pas provoquer l’ire du vieux fantôme – de présenter de nouvelles productions du grand Molière. Pour souligner son 400e anniversaire, Lorraine Pintal avait choisi de nous offrir une pièce hommage à Molière, Le Roman de monsieur de Molière la saison dernière.
Le Misanthrope, en plus de soixante-dix ans d’existence du TNM, une des œuvres les plus exigeantes et magistrales de Molière, en est à sa quatrième production, la troisième sur les planches que nous connaissons aujourd’hui. Il y a bien eu des productions ailleurs, notamment au Théâtre Repère et à La Bordée à Québec, au CNA à Ottawa, au Théâtre Denise-Pelletier et au Rideau Vert à Montréal, mais Le Misanthrope, comme Le Tartuffe, est une des pièces les plus périlleuse de Molière alors ne s’y frotte pas qui veut.
Pour monter Le Misanthrope, il faut avoir un juste mélange d’humilité et de culot qui n’est pas donné à tous. Florent Siaud, qui nous a donné un brillant Britannicus sur cette même scène il y a cinq ans et qui nage aussi à l’aise dans l’opéra que dans les univers de Viripaev, Camus, Goethe et Sarah Kane, aime tellement l’alexandrin qu’il devient le parfait facilitateur pour quiconque y serait rébarbatif. Son amour du douze pieds est contagieux et ses qualités de rassembleur font de ce Misanthrope nouveau une excellente porte d’entrée pour celui qui dirait que Molière est poussiéreux.
Ici, pas un grain de poussière dans la scénographie magistrale, ingénieuse et d’une propreté irréprochable de Romain Fabre. La métaphore est claire: le luxueux bar-salon dans lequel évoluent ces personnages plus grands que nature, plus blanc que blanc en apparence, n’est qu’illusion. Sous leurs habits propres et parfaits, ces êtres imparfaits cachent bien des saletés. Florent Siaud ira même jusqu’à leur faire faire de l’art visuel de la bile du moins vil qu’on pourrait le croire Alceste incarné par Francis Ducharme.
Si Alexandre Marine avait Sylvie Drapeau, René-Richard Cyr a Benoit McGinnis, Brigitte Haentjens a Sébastien Ricard, Serge Denoncourt a Magalie Lépine-Blondeau, Florent Siaud a Francis Ducharme. Après Néron et Faust, voilà que Siaud propose à Ducharme un autre monument de la dramaturgie. Et encore une fois, la magie opère. Autour du grand comédien qu’est Francis Ducharme, Florent Siaud rassemble une distribution de feu dont la sublime Evelyne Rompré en Arsinoé, le brillant et drôle Dany Boudreault (quel acteur!) en Oronte, la toujours étonnante Alice Pascuale en Célimène (là où on ne l’attendait pas) et le formidable Alex Bergeron (un acteur dont je ne me lasse pas et qui m’épate à chaque nouvelle production) en Philinte. On se régale également du jeu des jeunes Mounia Zahzam (Eliante), Dominick Rustam (Clitandre) et Matthias Lefèvre (Basque/Du Bois), un peu moins du choix d’Iannicko N’Doua dont l’Acaste est complètement dépourvu d’humour.
Bien que je ne puisse m’empêcher de toujours penser aux pauvres techniciens qui devront nettoyer costumes et décor entre chacune des représentations lorsque je vois une production – et il semble y avoir une tendance, une mode depuis un moment – où l'on choisit de cochonner à ce point la scénographie soir après soir, force est d’avouer que la créativité, l’intelligence derrière la vision du metteur en scène l’emportent sur tout.
Après les Paul Savoie, Pierre Collin, Jacques Lessard, Pierre Chagnon, Luc Picard, Olivier Normand, François Papineau, Francis Ducharme laisse sa marque sur Alceste, nous le rend plus humain que jamais et nous avons Florent Siaud à remercier pour ça.
Le Misanthrope de Molière Mise en scène: Florent Siaud
Assistance à la mise en scène et régie: Stéphanie Capistran-Lalonde
Avec Francis Ducharme, Alex Bergeron, Alice Pascual, Dany Boudreault, Evelyne Rompré, Dominick Rustam, Iannicko N’Doua, Mounia Zahzam, Matthias Lefèvre et Mélodie Lupien
Décor: Romain Fabre
Costumes: Julie Charland
Éclairages: Nicolas Descôteaux Vidéo: Gaspard Philippe
Musique originale: Vincent Legault
Accessoires: Julie Measroch
Maquillages et coiffures: Florence Cornet
Une production du Théâtre du Nouveau Monde
16 janvier au 10 février 2024 (Durée: 1h55 sans entracte)
*** Supplémentaire: dimanche 11 février 2024
Théâtre du Nouveau Monde, 84, rue Sainte-Catherine Ouest, Montréal
Billetterie: 514-866-8668, poste 1 - https://ticket.tnm.qc.ca
Photos : Yves Renaud
En tournée à travers le Québec (hiver 2024)
28 février, 19h30, Drummondville – Maison des arts Desjardins 4 mars, 20h, Québec – Salle Albert-Rousseau
6 mars, 20h, Saguenay – Théâtre C
9 mars, 20h, Rimouski – Salle Desjardins-Telus
13 mars, 19h30, Granby – Le Palace
15 et 16 mars, 20h, Gatineau – Maison de la Culture – Salle Odyssée
22 mars, 19h30, Laval – Salle André-Mathieu
26 mars, 20h, Sherbrooke – Salle Maurice-O’Bready
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