par Yanik Comeau (Comunik Média/ZoneCulture)
De plus en plus, le théâtre explore l’avenir comme il a toujours exploré le passé. Alors que la grande salle du Théâtre Denise-Pelletier nous plonge dans le Québec des années 30 et 40 avec Les Plouffe et que le Rideau Vert nous amène dans l’Abitibi rurale d’Un Reel ben beau, ben triste de Jeanne-Mance Delisle, la Salle Fred-Barry et La Bête Humaine nous propulsent dans un avenir pas si lointain où l’internet devenu inframonde propose une réalité virtuelle qui questionne l’éthique, la morale, ce qui est légal ou illégal, mais surtout où? Ce qui serait amoral dans le monde réel pourrait-il devenir acceptable dans un univers parallèle virtuel qui irait beaucoup plus loin que nous le permet le casque de réalité augmentée?
Les rebondissements proposées par la pièce de The Nether de l’Américaine Jennifer Haley, habilement traduite et adaptée en Québécois par Étienne Lepage (auteur de Toccate et fugue, L’Enclos de l’éléphant, Robin et Marion, la formidable adaptation de L’Idiot de Dostoïevski au TNM…) et mise en scène par sa grande complice Catherine Vidal, relèvent du thriller psychologique le plus palpitant. Le spectateur est constamment mis dans un état de malaise et on le ballotte dans tous les sens, le repoussant dans ses derniers retranchements et questionnements. La scénographie de Geneviève Lizotte nous transporte tour à tour – comme une bascule de parc municipal – entre l’environnement luxuriant du Refuge, «monde à l’envers» beaucoup moins horrifiant que celui de Stranger Things mais où il se passe les choses sur lesquelles il faut se questionner, et la salle d’interrogatoire à l'éclairage à néons blafards où la détective Harrison (formidable Rose-Anne Déry) questionne ses témoins et suspects.
Pour défendre cette dystopie dans laquelle la science est de moins en moins fiction et la fiction est de plus en plus scientifique, la metteure en scène fait appel au grand Igor Ovadis qui, malgré sur lourd accent russe, parvient toujours à jouer avec une habileté et une nuance déconcertantes. Pour sa part, Yannick Chapdelaine, cofondateur de La Bête Humaine, incarne le créateur de ce troublant Refuge avec un aplomb assumé et saisissant. Là où il pourrait être flagorneur et sinistre, il est plutôt rassurant et bienveillant, tout en nuances (encore ce mot). Après avoir apprécié Rose-Anne Déry dans toutes sortes de rôles (Table rase, Quatre filles, Le Terrier, Une Journée, Le Bonheur, STAT), je la classe maintenant dans la catégorie de celles qui font toujours les bons choix d’interprétation. Et que dire de Fabrice Yvanoff Sénat et Anaïs Cadorette-Bonin ? Deux jeunes talents que je découvre et que j’ai bien hâte de revoir. Rafraîchissants, ils sont!
Après Blink, Béa et Histoires pour faire des cauchemars que j’avais toutes ratées, je me réjouis d’avoir vu cette nouvelle production du Théâtre La Bête Humaine et j’ai bien hâte de voir ce qu’il nous présentera après L’Inframonde parce que, clairement, il aime nous surprendre et nous faire remettre en question nos idées reçues.
L’Inframonde de Jennifer Haley Traduction: Étienne Lepage Mise en scène: Catherine Vidal Assistance à la mise en scène et/ou régie: Ariane Brière Interprétation: Anaïs Cadorette-Bonin, Yannick Chapdelaine, Rose-Anne Déry, Igor Ovadis et Fabrice Yvanoff Sénat Lumières: Alexandre Pilon-Guay Décor, costumes et accessoires: Geneviève Lizotte assistée par Wendy Kim Pires Musique: Francis Rossignol Une production du Théâtre La Bête Humaine Du 3 au 21 octobre 2023 (1h20 sans entracte) Salle Fred-Barry (Théâtre Denise-Pelletier), 4353, rue Sainte-Catherine, Montréal Réservations : 514-253-8974 Photos: Vincent Ouellet-Vinzi
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