par Yanik Comeau (Comunik Média/ZoneCulture)
Après avoir exploré les œuvres de Josée Yvon (La Femme la plus dangereuse du Québec) et de Carl Sagan (Si jamais vous nous écoutez), ce sont aux correspondances de l’auteur Albert Camus et de la comédienne Maria Casarès que s’attaquent les grands complices de La Messe Basse, l’auteur Dany Boudreault et le metteur en scène Maxime Carbonneau. Séduite par la proposition de faire vivre sur scène les missives poétiques, touchantes, drôles, vibrantes de ces braises ardentes, ces humains singuliers, Lorraine Pintal avait entendu Maria Casarès lire ses correspondances avec Gérard Philipe (!) au Festival d’Avignon et avait déjà senti à l’époque toute la théâtralité de la matière première. Des années plus tard, la magnifique adaptation théâtrale que signe Dany Boudreault est servie par une équipe soudée autour de deux interprètes de feu.
Dans le spectacle que met habilement en scène Maxime Carbonneau, directeur d’acteurs résolument redoutable qui ne recule devant rien, Anne Dorval fait un retour au théâtre après douze ans (Le Projet Andromaque de Serge Denoncourt à Espace GO parce qu’on ne peut pas compter sa voix dans Bébés et Animaux au NTE comme des performances sur les planches), après trente ans sur la scène du TNM (dans Les Beaux Dimanches de Marcel Dubé !). Celle qui a joué autant les délicieuses folies de Marc Brunet au petit écran (Le Cœur a ses raisons, Les Bobos) que les grandes névrosées de Xavier Dolan au grand écran (J’ai tué ma mère, Mommy, Matthias et Maxime…) évite tous les écueils. Elle incarne une Maria Casarès plus vieille en baissant sa voix avec une formidable efficacité, reprenant sa voix plus naturelle pour jouer Maria plus jeune, en contournant les pièges qui auraient pu l’avaler tout rond. Tout son corps participe à cette magnifique incarnation. J’aime à croire, sans jamais remettre en question son merveilleux talent, que Maxime Carbonneau aura été une sorte de garde-fou bienveillant.
Donnant la réplique à Anne Dorval, Steve Gagnon qu’on a pu apprécier y a moins d’un an dans Un Ennemi du peuple sur cette même scène. Qui de mieux pour incarner un grand auteur qu’un autre grand amoureux des mots, auteur de talent de surcroit (Pour qu’il y ait un début à votre langue, Les Étés souterrains). Les défis sont vertigineux. Être un Camus crédible et un partenaire de jeu à la hauteur pour Anne Dorval qui, j’imagine, devait aussi avoir le trac du retour sur scène (dans un si gros morceau et – on ne se le cachera pas – sur le plan du marketing, le TNM devait compter gros sur sa présence). Steve Gagnon tire non seulement son épingle du jeu, sa chimie – comique, tragique, charnelle – avec Anne Dorval est remarquable.
À propos de cette chimie charnelle, celle des grands amoureux, il faut applaudir le travail exceptionnel de Marilyn Daoust au mouvement. Avec le metteur en scène, elle aura chorégraphié des scènes d’amour d’une grande beauté, presque comme des mini-ballets, parfois verticaux, souvent horizontaux, les interprètes bougeant avec grâce dans l’impeccable scénographie de Max-Otto Fauteux (décidemment, celui-là, difficile de pas l’aimer aussi !).
Se laisser bercer, toucher, rire par les mots du couple Casarès-Camus si brillamment agencés par Dany Boudreault, c’est à ce beau coup de maître que nous convoque La Messe Basse dans une autre ingénieuse collaboration avec le TNM (après le Théâtre Advienne que pourra en début de saison pour La Nuit des rois). Les supplémentaires se multiplient et on ne peut que s'en réjouir.
Je t’écris au milieu d’un bel orage d’après les correspondances de Maria Casarès et Albert Camus Idéation et adaptation de Dany Boudreault Mise en scène: Maxime Carbonneau Assistante à la mise en scène et régie: Stéphanie Capistran-Lalonde Avec Anne Dorval et Steve Gagnon Décor: Max-Otto Fauteux Costumes: Marie-Chantal Vaillancourt Éclairages: Julie Basse Musique originale: Antoine Bédard Vidéo: Jérémie Battaglia Mouvement: Marilyn Daoust Accessoires: Julie Measroch Maquillages et coiffures: Justine Denoncourt-Bélanger Perruques: Denis Parent – L’Échevelée Une production du Théâtre du Nouveau Monde en collaboration avec La Messe Basse 17 janvier au 11 février 2023 (Durée: 2h sans entracte) *** supplémentaires: du 12 au 19 février 2023 Théâtre du Nouveau Monde, 84, rue Sainte-Catherine Ouest, Montréal Billetterie: 514-866-8668, poste 1 - https://ticket.tnm.qc.ca Photos: Yves Renaud
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