par Yanik Comeau (Comunik Média/ZoneCulture)
Bien que J’aime Hydro soit loin d’être la première production créée par Porte Parole, compagnie cofondée par Annabel Soutar et spécialisée en théâtre dit documentaire, c’est sans contredit le spectacle qui aura solidement mis la compagnie sur la mappe. Contre toute attente, parce que qui aurait pu prévoir qu’un spectacle de théâtre dont la bougie d’allumage serait la question «Hydro-Québec a-t-elle vraiment besoin de continuer à harnacher des rivières et construire des barrages hydroélectriques ?» connaîtrait un tel succès qu’elle remplirait plusieurs fois l’énorme Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts et multiplierait les supplémentaires et les tournées ? Certainement pas l’élue d’Annabel Soutar, la comédienne Christine Beaulieu, pas vraiment connue à l’époque, qui allait partir de très loin avant de devenir malgré elle une experte en hydroélectricité !
Parce qu’à l’instar de tous les spectacles de Porte Parole, J’aime Hydro part d’une question, un enjeu de société. De l’exode des usines de textile à Montréal à l’autisme dans le milieu de la santé en passant par Fredy Villanueva et Monsanto et les aliments génétiquement modifiés, les spectacles de Porte Parole ont en commun de partir des «vraies affaires», du vrai monde interviewé par des artistes engagés – parfois seulement parce que le sujet les interpellent, parfois parce qu’ils ont les deux pieds dedans.
Construit comme un podcast ou une série documentaire, en épisodes, J’aime Hydro raconte avec une rafraîchissante autodérision, le cheminement de la comédienne devenue enquêteuse/autrice Christine Beaulieu qui, en travaillant sur un autre spectacle de Porte Parole, se fait proposer par Anabel Soutar de se lancer dans la création d’un spectacle sur l’hydroélectricité… entre autres parce qu’elle connaît Roy Dupuis (qui deviendra éventuellement son amoureux, mais pour le moment, ça n’a pas rapport) qui vient de prêter sa voix à la narration du documentaire Chercher le courant, un film qui questionne les motivations d’Hydro-Québec dans les projets de barrages sur La Romaine.
Le résultat, un work-in-progress qui aura évolué pendant quelques années avant de connaître une première mouture en 2016 et auquel quatre autres épisodes se seront ajoutés jusqu’à cette année (le cinquième qui tourne principalement autour de la rencontre de Christine Beaulieu avec Sophie Brochu, «nouvelle» PDG d’Hydro-Québec), est un spectacle-fleuve de presque trois heures trente (3h40 si on inclut l’entracte de 20 minutes) pendant lequel on suit la comédienne-autrice dans son road trip (c’est le cas de le dire en plus puisqu’elle a même fait le périple vers La Romaine en voiture électrique !), son Compostelle vers la vérité sur Hydro-Québec, sur la relation amour-haine des Québécois avec la société d’état.
À l’aise comme un poisson dans l’eau sur scène, en pleine possession de ses moyens, de son texte, de sa matière comme une professeure émérite charmante, drôle, brillante, passionnante et zéro hermétique, Christine Beaulieu est épaulée par le comédien Mathieu Gosselin qui joue presque tous les «personnages secondaires» (plus de 50) avec lesquels Christine interagit (d’Annabel Soutar au Premier Ministre François Legault en passant par le père de Christine et le syndicaliste Bernard «Rambo» Gauthier!) et le concepteur sonore Mathieu Doyon qui prête aussi sa voix à quelques personnages. Ensemble, complices avec les techniciens, ils brisent régulièrement le quatrième mur et évitent toute forme d’aridité, même dans les parties plus «mathématiques» et théoriques.
Jeudi dernier, je voyais J’aime Hydro pour la deuxième fois et je n’avais pas du tout l’appréhension de la première fois. Je ne me demandais plus du tout si «je vais aimer ça, du théâtre documentaire» ou si «ça va être long, un show de plus que trois heures» parce que le théâtre documentaire, celui que propose Porte Parole avec des bijoux comme L’Assemblée, Tout inclus, Rose et la machine et, bien sûr, J’aime Hydro, c’est du théâtre engagé, certes, mais non moins drôle, touchant, intelligent, vibrant et passionnant que n’importe quel bon théâtre.
J’aime Hydro de Christine Beaulieu
Mise en scène: Philippe Cyr
Dramaturgie: Annabel Soutar
Assistante à la mise en scène et régie: Martine Richard
Avec Christine Beaulieu, Mathieu Doyon et Mathieu Gosselin
Scénographie: Odile Gamache
Costumes: Julie Breton
Éclairages: Erwann Bernard
Conception sonore: Mathieu Doyon
Environnement sonore et sonorisation : Frédéric Auger (avec la collaboration de David Blouin)
Conception vidéo: Gonzalo Soldi (mirari)
Illustrations: Mathilde Corbeil
Direction technique : Jean Duchesneau et Normand Vincent
Vidéo et aspects techniques: Guillaume Arseneault
Une production Porte-Parole et Champ gauche en coproduction avec le FTA (épisodes 1 à 3) et Duceppe (épisode 5)
Représentations: 4 au 7 août 2022 (durée: 3h40 incluant l’entracte)
Théâtre Maisonneuve, Place des Arts, Montréal.
Info: https://duceppe.com/jaime-hydro-2/
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