par Yanik Comeau (Comunik Média / ZoneCulture)
Depuis plus de trente ans, Les Productions Jean-Bernard Hébert proposent des pièces souvent audacieuses pour le traditionnel «théâtre d’été». Rencontré lors de la première de Pédalo de Stéphane E. Roy et Benoit Roberge (critique à venir) au Théâtre des Grands-Chênes de Kingsey Falls dont il était propriétaire jusqu’à cet été encore, le comédien et producteur annonçait la vente de ses théâtres pour se concentrer sur la production. «Je veux faire du théâtre, pas gérer des bâtisses. Je veux faire du théâtre, pas appeler des plombiers et des électriciens,» m’a-t-il confié.
Il faut lui rendre hommage parce que son audace et son enthousiasme contagieux lui ont valu un public fidèle depuis plus de trois décennies. Avec des productions à grosse distribution comme Douze hommes en colère de Reginald Rose et Huit femmes de Robert Thomas qui a connu quelques productions au fil des années, en plus de spectacles musicaux à grand déploiement comme son Amsterdam d’après l’œuvre de Jacques Brel, Jean-Bernard Hébert est un modèle d’authenticité et de résilience.
Cela étant dit, malgré le succès connu dans le passé avec Huit femmes, une pièce écrite par le Français Robert Thomas décédé en 1989 à l’âge de 61 ans, on peut s’étonner que le producteur québécois ait eu envie de la monter encore. Même avec les talents de dialoguiste de Michel Tremblay qui signe l’adaptation québécoise, la pièce a mal vieilli et devrait, à mon avis, être mise à la retraite. Au-delà du plaisir qu’il ait pu éprouver à réunir huit comédiennes autour d’un texte (peut-être la même motivation qui a poussé François Ozon à transformer Huit femmes en musical cinématographique en 2002 avec une distribution époustouflante (Danielle Darrieux, Catherine Deneuve, Emmanuelle Béart, Isabelle Huppert, entre autres)), je ne m’explique pas la pertinence de reprendre cette pièce. Je me souviens d’avoir plutôt apprécié Piège pour un homme seul au Théâtre d’été Le Saint-Laurent de l’Île Charron dans les années 80s mais j’en étais à ma première fois à voir Huit femmes et je suis sorti déçu de cette nouvelle production au Théâtre de Rougemont, malgré ses quelques trente représentations offertes en tournée au courant de la saison 2021-2022.
Déçu aussi de la mise en scène d’Alain Zouvi dont j’ai toujours respecté la direction d’acteurs. Ici, peut-être parce que la distribution est trop hétéroclite et qu’on n’a pas réussi à créer une certaine homogénéité malgré qu’il semblerait que les comédiennes s’amusent comme larronnes en foire, celui qui nous avait déjà donné trois éditions de Revue et corrigée au Rideau Vert, un Pagnol, un Feydeau et un Cooney au Théâtre du Vieux-Terrebonne, un Marivaux au TNM et Garçon ! de Stéphane E. Roy à l’été 2019, entre autres, semble avoir fait des choix très étranges, tant au niveau de la mise en scène (les femmes qui entrent et sortent de la maison au cœur d’une tempête de neige en souliers d’intérieur, une tempête violente où on ne voit jamais l’ombre d’un flocon, un effet sonore de tempête d’enfer qu’on entend seulement dès que la porte s’ouvre et qui disparaît instantanément dès qu’elle se referme…) qu’au niveau de la direction de ses comédiennes. À peu près toutes jouent beaucoup trop gros (peut-être poussées à multiplier les mimiques et cabotinages physiques pour provoquer les rires qui ne viendraient pas si l’on ne comptait que sur le texte ?) et nous donnent du cabaret alors qu’il aurait peut-être fallu chercher davantage la vérité. Les deux plus jeunes, Marie-Andrée Lemieux et Lou Vincent-Desrosiers, seront celles qui tireront le mieux leur épingle du jeu… avec leur mère (Pascale Desrochers) et leur grand-mère (Josée Beaulieu). Très étranges aussi les constantes références à «la grosse Plouffe» jouée par Louise Deschâtelets qui n’est PAS grosse et qu’on n’a pas mise dans un «fat suit» parce que ça aurait clairement été inacceptable en cette ère de political correctness, mais… pourquoi avoir gardé cette référence dépassée alors qu’on embauchait une comédienne au «poids santé»? Une autre chose qui m’a fait froncer les sourcils.
Le décor de Guy Neveu est super réaliste et les comédiennes s’y déplacent avec aisance mais par moments, on a l’impression que l’espace restreint pour huit actrices fait que le metteur en scène ait été poussé à les «caser» un peu trop («Quand tu finis de dire cette réplique-là, va t’asseoir en arrière pour que X puisse sortir vers la cuisine.»).
Qu’à cela ne tienne, le public a semblé s’amuser vendredi dernier, se bidonnant joyeusement des pitreries des comédiennes. Tant mieux. Parce qu’après tout, le Théâtre de Rougemont a un héritage riche de nombreuses comédies hilarantes qui s’étale sur quelques décennies.
Huit femmes de Robert Thomas
Adaptation québécoise de Michel Tremblay
Mise en scène: Alain Zouvi
Avec Louise Deschâtelets, Pascale Desrochers, Josée Beaulieu, Lou Vincent-Desrosiers, Marie-Andrée Lemieux, Christiane Raymond, Myriam Poirier et Sonia Vigneault (+ la voix de Jean-Bernard Hébert)
Décor: Guy Neveu
Conception musicale: Christian Thomas
Lumières: Manon Puck-Saint-Joan
Les Productions Jean-Bernard Hébert
Théâtre de Rougemont, 370 Rang de la Montagne, Rougemont, J0L 1M0
Les jeudis, vendredis et samedis du 7 juillet au 6 août 2022 à 20h30 (parfois 16h le samedi) (2 heures + entracte)
Information et billetterie: theatrerougemont.com ou 1.866.666.3006
Photos: Joe Alvoeiro
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