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Théâtre: «Docteure» de Robert Icke: La mémoire courte

par Yanik Comeau (Comunik Média/ZoneCulture)

Duceppe a toujours proposé des pièces qui font réfléchir, mais on dirait que depuis que Jean-Simon Traversy et David Laurin ont assumé sa direction artistique, les œuvres percutantes sont de plus en plus fréquentes. Après des pièces comme Oslo, Pétrole, Héritage, Consentement, King Dave, Salle de nouvellesqu’il s’agisse de pièces «fraîches» ou de pièces «rafraîchies» –, voilà qu’ils confient Docteure (The Doctor) du britannique Robert Icke à Fanny Britt et Marie-Ève Milot.



À l’instar de sa compatriote Caryl Churchill, Icke propose une pièce où il veut volontairement confondre le public avec une distribution non-genrée, colour blind, non pas pour déjouer le spectateur mais pour appuyer son argument qu’au fond, nous sommes tous et toutes aussi pareil.le.s que différent.e.s, que nous avons tous tort et raison à la fois.



Un peu comme Embrasse de Michel Marc Bouchard qui part d’une anecdote somme toute insignifiante (une vendeuse de tissus dans un centre commercial, une mère, qui gifle une enseignante, ancienne prof de son fils), Docteure dérape lorsque la docteure émérite Rachel Wolff lève sa main qui atterrit sur l’épaule d’un prêtre qui souhaite venir donner les derniers sacrements à une patiente de 14 ans qui s’est empoisonnée en tentant de s’avorter elle-même. Soudainement, les médias s’emparent de la «nouvelle» et l’anecdote devient coup sur coup religieuse, raciale, sexiste, politique, historique... des carrières sont brisées, des vies aussi...



Absolument brillante, l’écriture d’Icke ne cesse de multiplier les couches de controverses sans jamais prendre parti. Comme spectateur, on se surprend à constamment vouloir mettre le blâme sur l’un et sur l’autre, à se dire que l’un ou l’autre n’est pas «juste», pas «correct.e», de mauvaise foi… puis tout bascule et on doit constamment reprendre la réflexion. Comme dans la vie… contrairement aux polarisés et polarisants réseaux sociaux qui ne dérougissent pas de leur blanc ou de leur noir. Où les constamment changeantes teintes de gris n’ont pas leur place.



Autour de la Dr. Wolff, un personnage multi-facettes incarné avec toutes les nuances qu’il lui faut par une Pascale Montpetit en pleine possession de ses moyens malgré le fait que nous ne l’avions pas vue au théâtre depuis sept ans, presque trente chez Duceppe, une distribution éclectique et fascinante qui réussit à atteindre une belle homogénéité que l’on soupçonne générée par la direction d’acteurs de Marie-Ève Milot. On est touché par le jeu de Tania Kontoyanni, d’Alice Dorval, troublé par celui d’Ariel Ifergan, soufflé par la justesse et l’aplomb de Harry Standjofski, d’Elkahna Talbi, troublé par l’interprétation d’Ariel Ifergan, intrigué par celles de Sharon James, de Sofia Blondin, de Yanic Truesdale (qui est comme un poisson dans l’eau après n’avoir pas joué au théâtre depuis…), séduit par la voix de Nora Guerch.



Malgré quelques petites inconsistances qui font sourciller dans la traduction (peut-être aurait-il été préférable de faire quelques ajustements quand la distribution a été confirmée, en répétitions, pour éviter que certains mots sonnent étrangement dans certaines bouches?), voilà une œuvre absolument brillante, un véritable thriller psychologique ancré solidement dans à peu près tous les enjeux qui préoccupent notre société moderne, cette société qui vit dans une tornade perpétuelle.



Comme la pièce toute en pelures que l’on déballe et que l’on réemballe, la scénographie brillante de Geneviève Lizotte et les éclairages d’Étienne Boucher offrent la froideur et l’aseptisation de l’hôpital nuancées par des couches de rideaux de tulle qui proposent tantôt intimité, tantôt dévoilement, tantôt ouverture sur le monde.



Impossible de sortir de chez Duceppe sans que toutes les réflexions provoquées par cette pièce dense, poignante et «confrontante» ne nous habitent pendant des jours et des semaines… et sans qu’on ait l’impression d’avoir passé un moment privilégié avec des acteurs investis.


Docteure de Robert Icke

Traduction: Fanny Britt

Mise en scène de Marie-Ève Milot

Assistance à la mise en scène: Josianne Dulong-Savignac

Interprétation: Alexandre Bergeron, Sofia Blondin, Alice Dorval, Nora Guerch, Ariel Ifergan, Sharon James, Tania Kontoyanni, Pascale Montpetit, Harry Standjojski, Elkahna Talbi et Yanic Truesdale

Scénographie: Geneviève Lizotte

Accessoires: Éliane Fayad

Assistante aux accessoires: Maude Janvier

Costumes: Cynthia St-Gelais

Assistante aux costumes: Juliette Dubé-Tyler

Éclairages: Étienne Boucher

Musique: Antoine Berthiaume

Maquillage et coiffures: Amélie Bruneau-Longpré

Une production Duceppe

Du 18 octobre au 18 novembre 2023 (durée: 2h05 sans entracte)

Théâtre Jean-Duceppe, Place des Arts, Montréal

Info: https://duceppe.com/docteure/

Photos: Danny Taillon

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