par Yanik Comeau (Comunik Média/ZoneCulture)
Chaque génération a besoin de s’exprimer, de crier son existence, de faire comprendre aux autres ce qui l’allume, la fait vibrer, la stimule, la motive. Avec Youngnesse, un spectacle interdisciplinaire bilingue (vous l’aviez deviné par le titre – un mot hybride créé à partir de young et jeunesse), le collectif Projets Hybris propose «une réflexion sur l’énergie politique de la jeunesse». Pour l’énergie, difficile de ne pas acheter. Pour la politique, un peu moins certain que l’on atteigne la cible.
Youngnesse, c’est cinq performers – danseurs, chanteurs, acteurs, artistes visuels – aux talents inégaux selon les disciplines qui se déploient, avec toute la bonne volonté du monde, sans véritable ligne directrice. Au son de la musique de leurs amis, le groupe Dry Sec, formé d’éléments empruntés à VICTIME et Technical Kidman, qui fait partie intégrante de ce Grand Cirque Identitaire, les interprètes créent en direct des statues et sculptures à partir d’objets qui semblent provenir de restants de ventes de garages ou de conteneurs d’un magasin Renaissance. Certaines propositions intéressantes, créatives, intrigantes, mais offertes pêle-mêle, sans contexte, tout en même temps, dans un numéro d’ouverture beaucoup trop long qui, comme tout le spectacle, souffre d’une mise en scène tristement déficiente.
À travers ces créations visuelles, on propose du mouvement, de la danse moderne, certains déplacements qui suscitent de l’intérêt mais qui bénéficieraient – encore une fois – d’une direction, d’une valorisation de l’émotion dans le contexte de cette mouvance corporelle. On reste sur notre appétit, avec l’impression qu’on a lâché lousse les interprètes, leur demandant: «Qu’est-ce que tu as le goût de faire? OK. C’est bon! Fais-le!» sans vraiment réfléchir à ce que ça doit représenter dans le contexte de cette «réflexion sur l’énergie politique». Dommage.
Puis, un petit coup de génie lorsque, soudainement, on décide de s’adresser directement au public, de le rendre complice, lui demandant de lever les bras pour aider à la création d’un immense chapiteau de plastique qui sera érigé au-dessus des spectateurs. Sous cette tente improvisée, dans une ambiance des plus intimes mais malheureusement mal exploitée, on lira – avec des niveaux de talent pour le moins inégaux – des extraits de textes, poèmes, spoken word, monologues,… d’une vingtaine d’auteurs, principalement en français mais quelques-uns en anglais, tous intéressants mais pas tous bien servis par leur interprète. Dans un autre choix de mise en scène douteux, certains des textes se chevaucheront, seront presque chuchotés ou du moins mal projetés, contribuant encore au manque de cohérence et de direction. Là où l’on devrait mettre le mot de l’avant, valoriser le texte, la parole, le message, on le noie encore dans la cacophonie. Sans parler du manque de direction d’acteurs et des accents anglais douteux.
Lorsque les interprètes prendront ensuite la parole, partageant ce qui semble être des bribes personnelles de leur propre existence (parfois dans un contexte intime, d’autres fois pour évoquer leurs convictions politiques – ce qui donne une lueur d’espoir pour sauver ce spectacle de l’incohérence la plus complète), on effleure à peine chacun des passages sans donner aux spectateurs le temps de recevoir l’information, d’assimiler le propos, avant de lui en balancer un autre, un autre, un autre au visage. Triste. D’autant plus que la musique, ici, n’aide en rien, enterre la parole, même celle gueulée dans un micro. Frustrant.
Le spectacle se terminera comme il aura commencé, dans un gros melting pot de défoulements physiques, de «garrochages» de corps en tout sens, de cris du cœur et du corps sans doute libérateurs pour les interprètes mais généralement lassant pour un public qui en a vu d’autres.
Vivement un autre spectacle où l’on mettra en valeur les véritables talents de ces interprètes charismatiques, jeunes, vivants, généreux… où on ne les noiera pas dans un gros bouillon de n’importe quoi.
Youngnesse Un spectacle multidisciplinaire de projets hybris Mise en scène: Philippe Dumaine Interprètes: Maude Arès, Antoine Beaudoin Gentes, Angie Cheng, Sarah Chouinard-Poirier, Danièle Simon Musique en direct: DRY SEC (Mathieu Arsenault, Laurence Gauthier-Brown, Samuel Gougoux et Simon Provencher) Éclairages: Hugo Dalphond Conseil dramaturgique: Marilou Craft Direction technique: Nicola Dubois Une production de projets hybris 24 septembre à 19h, 25, 27 et 28 septembre 2018 à 20h (1h10 sans entracte) La Chapelle, Scènes Contemporaines, 3700, rue Saint-Dominique, Montréal Réservations : 514-843-7738 – www.lachapelle.org Photos : Keven Lee
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