par Yanik Comeau (Comunik Média / ZoneCulture)
Dire que Brigitte Haentjens choisit les textes qu’elle monte, les textes que produit Sibyllines avec son cœur serait réducteur, mais il y a définitivement le cœur avant tout. Elle a ses auteurs fétiches, ses acteurs fétiches, mais elle ne recule pas devant une pièce, un recueil de poésie, une œuvre qu’elle est portée à mener à la scène. Hasard ou pas, elle s’intéresse souvent à des auteurs qui sont morts jeunes : Bernard-Marie Koltès, Sylvia Plath, Georg Büchner, Ingeborg Bachmann. Et bien qu’elle aime s’entourer de nombreux créateurs, même sur les plus «petits» projets, sur scène, elle aime l’intimité, c’est le moins qu’on puisse dire : des solos, des duos, un quartett, c’est une gang. Même celui de Müller était un duo ! Blagues à part, bien sûr, Brigitte Haentjens a monté Brecht, Sophocle, Feydeau, alors personne ne pourra jamais l’accuser de se cantonner dans un style, un genre, un répertoire… mais force est d’avouer que ses collaborations avec Céline Bonnier, James Hyndman, Anne-Marie Cadieux, Sébastien Ricard sont légendes.
Avec Rêve et folie, adaptation théâtrale d’un texte du poète austro-hongrois Georg Trackl, mort d’une overdose de cocaïne dans les premiers mois de la Première Guerre Mondiale, Brigitte Haentjens s’unit à nouveau à Sébastien Ricard pour s’attaquer à une partition qu’ils tenteront désespérément de «déshermétiser». Parce que le poème de Trackl, un des textes du recueil Rêve et folie qui a appelé Brigitte Haentjens de sa tablette chez un libraire de Paris, n’est pas aussi limpide que Baudelaire, Verlaine ou Rimbaud, ce dernier à qui on trouve néanmoins un certain acoquinement avec Trackl.
Le rideau de rubans, un dispositif scénique polyvalent que le comédien peut franchir et que le vidéaste peut peindre comme une toile vivante, permet aux œuvres visuelles de Karl Lemieux et des artistes avec lesquels il a travaillé, de briller de tous leurs feux. Tout s’harmonise avec la musique et l’environnement sonore créé par Roger Tellier-Craig et les éclairages de Martin Sirois.
Seul en scène, le virtuose de la parole et du corps qu’est Sébastien Ricard, tour à tour tambour humain, didjeridoo, incarnations animales, véhicule d’émotions, de traumatismes, de désespoirs, est tout à fait renversant. Faisant appel à toutes ses forces et toutes les parties de son instrument, il livre une performance olympienne, d’une générosité qui ne surprend plus mais sidère toujours autant.
Malgré le désir sincère et profond des créateurs de rendre cette poésie accessible (c’est sûr qu’on est loin de la soirée de poésie avec lutrin et pot de fleurs sur un tabouret!), Rêve et folie n’est pas pour tout le monde. Il s’agit d’une œuvre qui demande un abandon, une confiance, une présence active du spectateur.
Rêve et folie sera présenté au Théâtre Français du CNA à Ottawa dans les prochains mois et l’équipe souhaite le faire rayonner ailleurs par la suite.
Rêve et folie de Georg Trakl
Mise en scène: Brigitte Haentjens
Dramaturgie: Amélie Dumoulin
Assistance à la mise en scène: Vanessa Beaupré
Avec Sébastien Ricard
Vidéo: Karl Lemieux
Environnement sonore: Roger Tellier-Craig
Lumière: Martin Sirois
Conception des costumes: Julie Charland
Coupe et confection: Yso
Maquillage et coiffure: Angelo Barsetti
Mise en espace sonore: Frédéric Auger
Intégration vidéo: Dominique Hawry
Effets spéciaux vidéo: Patrick Bergeron
Montage vidéo : Guillaume Marin
Collaboration au mouvement : Anne-Marie Jourdenais
Direction technique : Éric Le Brec’h
Direction de production : Cynthia Bouchard-Gosselin
Une production de Sibyllines
en coproduction avec le Festival international de littérature (FIL) et le Théâtre français du Centre National des Arts (Ottawa)
Du 25 au 27 septembre 2021 (35 minutes + rencontre avec les artistes)
Cinquième Salle, Place des Arts, Montréal
Photos en répétition: Ulysse Del Drago
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