par Yanik Comeau (ZoneCulture/Comunik Média)
Les pièces de Tchekhov sont parmi les plus jouées dans le monde et, pourtant, son œuvre, on ne peut plus universelle, n’est pas aimée de tous. Ce n’est toutefois pas parce qu’elle n’est pas accessible, humaine, intemporelle, ancrée dans des personnages riches et empreints d’émotion. Mais force est d’admettre que ce sont des pièces qui se savourent comme un grand vin et peut-être que les impatients et les friands de sensations fortes peinent à y trouver leur compte. En fait, Tchekhov est sans doute un goût qui se développe.
Cela étant dit, de l’intérieur, parmi les gens de théâtre, particulièrement dans les pays nordiques comme le nôtre, Tchekhov est un incontournable. Que l’on monte ses pièces dans la vieille tradition comme l’a fait si habilement Yves Desgagnés dans le passé (au TNM et chez Duceppe, entre autres) ou que l’on brasse la cage et que l’on secoue la poussière comme le font Angela Konrad et sa Fabrik sur la scène principale du Prospero avec Platonov ces jours-ci, la puissance de la partition tchekhovienne finit généralement par tout transcender.
Sans doute une des pièces moins connue du médecin russe (sa première, écrite lorsqu’il avait à peine 18 ans!), Platonov est néanmoins un personnage incontournable pour un comédien, au même titre que peuvent l’être Roméo, Hamlet, Alceste, Richard III ou plus tard, Harpagon, Lear, Willie Loman ou Vania. Après avoir charmé dans la grande naïveté de L’Idiot de Dostoïevski au TNM l’an dernier, Renaud Lacelle-Bourdon replonge dans la littérature russe résolument modernisée avec ce narcissique Platonov. Confiant, charismatique, énergique et débordant de testostérone, le comédien explose sur la scène dépouillée imaginée par Konrad.
Entourant Lacelle-Bourdon, une distribution éclatante. Des visages bien connus (Violette Chauveau qui prend clairement son pied en Anna Petrovna, jeune veuve riche et libidineuse, Debbie Lynch-White, formidable en épouse trompée, et Marie-Laurence Moreau, redoutable en Sofia, la maîtresse qui finira par se raisonner à l’idée que personne ne pourra vraiment avoir une vraie vie amoureuse avec ce Don Juan hors de contrôle) et moins connus (que dire de Diane Ouimet qui a un impressionnant bagage et une carrière internationale mais que je découvrais ici pour la première fois, Pascale Drevillon, une comédienne époustouflante au charisme enivrant, qu’il faudrait voir partout et que l’on découvre fort heureusement de plus en plus, et Olivier Turcotte qui en est à sa deuxième collaboration avec Angela Konrad?). Samuël Côté, pour sa part, complète à merveille cet octuor sans faille.
Intégrant des costumes qui détonnent avec la période, des sons et des choix musicaux propres à Konrad (difficile de ne pas penser qu’elle a une signature claire) et même du chant, la metteure en scène fait un choix osé et fonce sans demander pardon dans la modernisation de l’œuvre. Le résultat est pleinement assumé et d’une cohérence étonnante. Les non-amoureux de Tchekhov pourraient peut-être même y trouver leur compte. Comme quand Robert Lepage s’attaque à Shakespeare. Il faudrait leur demander. J’aime les deux.
Bien que je n’adhère pas toujours à tout ce que fait Angela Konrad, jamais je ne remettrais en question sa pertinence ou sa place dans son univers théâtral d’adoption. Dire qu’elle est la bienvenue serait le pire des euphémismes.
Platonov, Amour, haine et angles morts d’après Anton Tchekhov Traduction : André Markovicz, Françoise Morvan Mise en scène, adaptation, conception costumes et espace scénique: Angela Konrad
Avec Violette Chauveau, Samuël Côté, Pascale Drevillon, Renaud Lacelle-Bourdon, Debbie Lynch-White, Marie-Laurence Moreau, Diane Ouimet et Olivier Turcotte Une production du Groupe de la Veillée et de La Fabrik Du 20 novembre au 15 décembre 2018 (2 heures sans entracte) Théâtre Prospero – salle principale, 1371, rue Ontario Est, Montréal Renseignements : 514-526-6582 Pour en savoir plus : www.theatreprospero.com Photos : Maxime Robert-Lachaîne
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