par Yanik Comeau (Comunik Média/ZoneCulture)
Depuis des années, François Archambault nous a habitués à des pièces intimistes à petites distributions, des bijoux comme Cul sec, La Société des loisirs, 15 secondes, Tu te souviendras de moi, des pièces aussi très ancrés dans le Québec d’aujourd’hui. Avec une résidence d’écriture chez Duceppe, il a pu explorer la possibilité d’écrire pour un grand plateau, une pièce à plus grand déploiement… un peu comme quand il a écrit la télésérie Les Étoiles filantes. D’ailleurs, Pétrole est structurée davantage comme un scénario de film que comme une pièce de théâtre, mais on ne s’en formalisera certainement pas.
Un peu comme avec Oslo de J.T. Rogers qui avait ouvert la saison 2018-2019, on a l'impression avec Pétrole d'assister à un genre de blockbuster américain, un film complexe qui aurait pu être scénarisé par Aaron Sorkin (The West Wing, A Few Good Men, The Social Network, Molly's Game). Finesse des dialogues, rythme endiablé.
Le sujet de cette première «grosse pièce» est venu à François Archambault sous forme d’un fait divers publié dans le New York Times… et qui allait devenir la bougie d’allumage (sans jeu de mots) de Pétrole, première pièce à éclore d’une résidence d’écriture sous la direction artistique de David Laurin et Jean-Simon Traversy.
Pétrole aurait dû voir le jour au printemps 2021 mais a dû patienter et se «contenter» d’une baladodiffusion en attendant. C’est donc depuis la semaine dernière seulement que ce thriller politico-environnemental brûle (encore !) les planches du Théâtre Jean-Duceppe de la Place des Arts.
Cette pièce théâtralise l'histoire du professeur Jarvis Larsen qui, après avoir tenté de «changer les choses de l’intérieur» en se faisant embaucher au sein d’une grande compagnie pétrolière (bien qu’on se demande s’il n’y est pas aussi pour le salaire et pour faire vivre sa famille malgré les contestations de sa femme Judy, pleine de convictions et enceinte jusqu’aux oreilles), aurait mis le feu à des forêts californiennes et se serait immolé pour en brûler une autre à proximité d'une ville. Parce qu’après tout, tant que ça brûle au loin, c’est pas grave, hein? Mais quand ça détruira des maisons cossues, des quartiers complets… peut-être qu’on réagira?
Avec Oslo, Rose et la machine, Les Sorcières de Salem, Un Ennemi du peuple, la metteure en scène Édith Patenaude nous a habitués à des plateaux chargés, des scénographies audacieuses, qu’elle travaille avec Odile Gamache, Patrice Charbonneau-Brunelle ou Claire Renaud comme c’est le cas ici. Un plancher bassin-pataugeoire noir couvert de quelques centimètres d’eau qui fera que les interprètes se mouvront sans cesse en éclaboussant créant à la fois une illusion de marée noire et rappelant que l’utilisation des énergies fossiles menace aussi l’eau de la planète. L’immense trou rond dans le mur du fond pourra autant illustrer le soleil de plus en plus brûlant que des éclipses. Une scénographie impressionnante – écoresponsable de surcroît – accompagnée de projections qui permettent aux spectateurs de ne pas se perdre dans les sauts temporels ou les changements de lieu.
Encore une fois, Édith Patenaude propose une mise en scène rythmée, punchée, en accéléré. Comme si elle voulait marquer l’urgence climatique, la metteure en scène fait bouger et parler sa distribution avec l’urgence du minuit moins cinq. Seuls quelques fonctionnaires fédéraux américains échappent à la règle comme s’ils indiquaient leur opposition aux environnementalistes et le message est criant.
Dirigés avec grande efficacité, les comédiens peuvent briller à leur guise. On se régale tout particulièrement du jeu d’Ariel Ifergan, Olivia Palacci et Elkhana Talbi. On croit au couple de Jarvis (Simon Lacroix) et Judy Larsen (Marie-Ève Milot). On s’émeut des scènes entre Joy Larsen (Paméla Dumont) et sa grand-mère Mia (Louise Cardinal).
Avec des costumes illustrant bien les époques (Cynthia St-Gelais), des éclairages du maître Martin Labrecque et un environnement sonore envoûtant et par moments oppressant signé Mykalle Bielinski (Titus, Mythe, Le Brasier, Lignes de fuite, Consentement…), Edith Patenaude ferme en beauté la saison régulière de Duceppe.
Bien sûr, difficile de ne pas sourire avec un brin de cynisme à entendre ces personnages – autant en 1979 qu’en 2018 – hurler à l’urgence d’agir pour sauver la planète puis de voir les employés de la Place des Arts insister pour que les spectateurs remplacent leur masque jetable par une autre masque jetable à l’entrée… et voir ces mêmes spectateurs sortir du stationnement à bord de leurs VUS de luxe après le spectacle. L’humain est parfois bien incohérent. La pièce – tout autant que nous, spectateurs – le démontre très bien.
Pétrole de François Archambault
Mise en scène: Édith Patenaude
Assistante à la mise en scène: Adèle Saint-Amand
Avec Eric Bernier, Frédéric Blanchette, Louise Cardinal, Jean-François Casabonne, Paméla Dumont, Ariel Ifergan, Simon Lacroix, Marie-Ève Milot, Jean-Sébastien Lavoie, Olivia Palacci et Elkhana Talbi
Décor: Claire Renaud
Costumes: Cynthia St-Gelais
Lumière: Martin Labrecque
Musique: Mykalle Bielinski
Accessoires: Karine Cusson
Une production Duceppe
Du 13 avril au 14 mai 2022 (durée : 1h50 sans entracte)
Théâtre Jean-Duceppe, Place des Arts, Montréal.
Photos: Danny Taillon
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