par Yanik Comeau (Comunik Média/ZoneCulture)
Les connaisseurs d’opéra semblaient se réjouir de voir enfin le Hamlet du Français Ambroise Thomas inspiré de celui de Shakespeare revenir sur la scène de la Salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts dans «la troisième plus grosse» production de l’histoire de la compagnie. Pourtant, cette œuvre créée en 1868 à Paris par un compositeur qui n’était clairement pas dans son élément à l’opéra est, au mieux, une œuvre oubliable. Heureusement que dans le cas de cette production, il y a la jeune découverte Sarah Dufresne dans le rôle d’Ophélie parce qu’elle et la mezzo-soprano française Karine Deshayes (chantant le rôle de la Reine Gertrude) rachètent en partie cette production tristement pénible.
D’abord, le livret est insipide alors que la matière première était si riche. Par moments, on a l’impression que Thomas se contente de répéter des métaphores et des expressions poétiques éculées qu’on a maintes fois entendues. La conclusion de l’opéra est étrangement expéditive et alambiquée également avec son happy end qui n’a aucun sens. Ensuite, les fioritures musicales, parfois entre deux lignes chantées dans les moments les plus dramatiques de l’action, font froncer les sourcils.
La mise en scène poussiéreuse et sans imagination d’Alain Gauthier n’aide en rien. Venant du milieu du théâtre, j’ai été triste de voir à quel point les chanteurs/acteurs semblent avoir été laissés à eux-mêmes ou carrément mal dirigés au niveau du jeu, ce qui a donné des performances justes et belles chez certains (Karyne Deshayes, Antoine Bélanger, Matthew Li, Nathan Berg, Sarah Dufresne) et des envolées corporelles mélodramatiques insupportables qui frôlaient le ridicule chez d’autres (Elliot Madore dans le rôle-titre en particulier). Alexandre Sylvestre, que j'aime beaucoup, semble cette fois complètement inconfortable dans son propre corps. C'est à n'y rien comprendre.
Et on y arrive. Dans le rôle d’Hamlet, non seulement Elliot Madore est très mal choisi (une autre critique a dit qu’Étienne Dupuis n’était sans doute juste pas disponible parce qu’il aurait fait un meilleur Hamlet et je suis 100% d’accord), mais bien au-delà des conventions lyriques inhérentes au chant classique, ici, le baryton tombe souvent dans la diphtongue qui donne des impressions de lourd accent québécois, acadien ou franco-ontarien. J’ai passé mon temps à rouler des yeux. Insupportable.
Comme je le disais d’entrée de jeu, heureusement qu’il y a les femmes dans cette production. Karine Deshayes est magnifique en Reine Gertrude et va même, je dirais, jusqu’à donner quelques-uns de ses plus beaux moments à Elliot Madore, nous faisant oublier pendant quelques secondes à quel point il n’est pas à sa place. Ensuite, il y a Sarah Dufresne, cette révélation incroyable, cette star montante de l’opéra qui attaque la partition colossale d’Ophélie comme la redoutable championne qu’elle est si nous parlions en termes de compétitions olympiques. Son incroyable solo de descente dans les méandres de la folie est un tour de force magistral. Le public l’a acclamée avec raison après cette performance foudroyante et encore lors du salut où tout le monde n’avait d’yeux et d’amour que pour elle.
On aurait voulu dire que les costumes de Sarah Balleux et le décor de Frédérick Ouellet, deux grands concepteurs dont on a apprécié le travail dans plusieurs autres productions, étaient formidables, mais ils ont trop souvent raté la cible ici. Le costume d’Hamlet était particulièrement étrange.
Bref, si ce Hamlet passe à l’histoire, ce sera pour que l’on dise que c’est là qu’on a découvert Sarah Dufresne dans son premier grand rôle.
Pour le reste, dommage.
Hamlet (en français avec surtitres en français et en anglais) Compositeur: Ambroise Thomas librement inspirée de la pièce de William Shakespeare Mise en scène: Alain Gauthier Chef d’orchestre: Jacques Lacombe dirigeant l’Orchestre Métropolitain et le Chœur de l’Opéra de Montréal Interprétation: Elliot Madore (Hamlet), Sarah Dufresne (Ophélie), Karine Deshayes (La Reine Gertrude), Nathan Berg (Claudius), Antoine Bélanger (Laërte), Rocco Rupolo (Marcellus), Alexandre Sylvestre (Horatio), Matthew Li (Polonius) et Alain Coulombe (Le Spectre) Conception des décors: Frédérick Ouellet Conception des costumes: Sarah Balleux Conception d’éclairages: Renaud Pettigrew Une production de l’Opéra de Montréal avec le soutien financier de la SODEC Les 16, 19 et 21 novembre à 19h30 et le 24 novembre 2024 à 14h (durée: 2h50 incluant un entracte de 25 minutes) Salle Wilfrid-Pelletier, Place des Arts, Montréal Info: https://www.operademontreal.com/programmation/hamlet Photos: Vivien Gaumand
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