par Yanik Comeau (Comunik Média / ZoneCulture)
Après avoir fait un film sur son arrière-grand-mère, le comédien et auteur belgo-tunisien Mohsen El Gharbi replonge dans le terreau fertile qu’est la famille pour créer, à partir du matériau de son court-métrage et deux de ses précédents monologues, un one-man show achevé, peaufiné, touchant, drôle, débordant de créativité et d’émotions avec même pas deux bouts de chandelles. Le résultat ? Un bijou théâtral sublime !
Seul en scène pendant quelque 80 minutes, Mohsen El Gharbi raconte avec une fluidité et un naturel impressionnants (à un point tel que l’on en vient à croire que même les hésitations, les trébuchements et les petits retours en arrière dans le texte sont voulus !), avec une générosité désarmante, sa rencontre fantastique – dans tous les sens du terme – avec son arrière-grand-mère tunisienne centenaire, interprétant tous les personnages, tous les objets (pourquoi faire appel à une bande d’effets sonores, après tout, quand on peut faire tous les sons soi-même comme un enfant hyperactif qui raconte ses périples à ses amis dans le carré de sable ?) et tous les instruments de musique (pas une note préenregistrée n’est requise non plus !) entraînant le public dans son univers unique, sans nous perdre un seul instant.
Cet univers, c’est une histoire toute simple qui émane d’une famille tout aussi «normale et traditionnelle» où la violence s’est transmise de génération en génération et où, au milieu d’un périple avec son ami Xavier qu’il nomme caméraman et directeur-photo de son projet de film, un arrière-petit-fils décide qu’il ne sera pas son père, qu’il mettra un terme à un cycle de violence qui semble se propager de génération en génération. Un message tout simple, empreint d’amour – pour son arrière-grand-mère, certes, mais pour son prochain, et par ricochet, pour chacun des spectateurs qu’il regardera dans les yeux dans les dernières secondes du spectacle – qui fera son chemin dans les cœurs et qui restera, longtemps après la représentation. Rafraîchissant en cette période si dure pour l’Humanité.
Mohsen El Gharbi, merveilleusement bien conseillé à la mise en scène par Jean-Marie Papapietro (dont j’avais adoré le spectacle La Promenade de Robert Walser au Goethe-Institut avec Paul Savoie et Roch Aubert en 2004) et au texte par Patrick Cady (même si, pour moi, le seul hic dans ce spectacle est sa finale légèrement escamotée), offre ici un spectacle longuement mûri, solidement construit, brillamment exécuté. Clairement, les heures et les heures de répétition (je mets le mot volontairement au singulier) devant Papapietro, lui permettant «de ne pas parler à un mur», comme l’affirme le créateur dans le programme, ainsi que sa tournée au Nouveau-Brunswick au printemps avec le Théâtre Populaire d’Acadie (ce spectacle ne pourrait pas vraiment être moins acadien, mais pas plus international et universel !) ont permis d’ajouter couche après couche de génie sur cette toile déjà magnifique.
Sur sa scène vide, dans ses vêtements de tous les jours, avec aucun accessoire, pas une seule note de musique et seulement quelques projecteurs, Mohsen El Gharbi et son Omi Mouna pourraient – et devraient – faire le tour du monde pour dire à tous leurs prochains combien ils les aiment, combien ces prochains pourraient profiter de tout ce que leur offre le vécu de leurs aînés et combien ils gagneraient à choisir leurs modèles plutôt que de croire que la vie leur impose.
Hum… et peut-être que Mohsen pourrait rencontrer Bashir Lazhar ? Il me semble qu’ils s’entendraient bien, ces deux-là.
Omi Mouna (ou ma rencontre fantastique avec mon arrière-grand-mère) Texte, mise en scène et jeu: Mohsen El Gharbi Conseiller artistique : Jean-Marie Papapietro Conseiller dramaturgique : Patrick Cady Une production de L’Acteur en Marche Jusqu’au 14 octobre 2017 (1h20 sans entracte) MAI, 3680, rue Jeanne-Mance, Montréal
Reprise à la Salle intime du Théâtre Prospero du 2 au 20 octobre 2019
Photos de Houda Jribi
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