par Yanik Comeau (Comunik Média / ZoneCulture)
Vingt-six ans après sa création, le comédien, metteur en scène, directeur artistique et co-créateur du Grand Cirque Ordinaire Raymond Cloutier décide de ressortir le huis-clos de David Mamet, Oleanna, et la période trouble que nous vivons aux quatre coins de la planète n’est pas étrangère à cette initiative. Le faire en plein cœur de l’été dans un charmant petit café-théâtre de l’Estrie, c’est audacieux – c’est le moins que l’on puisse dire – voire même carrément aussi in your face que l’écriture de Mamet lui-même.
Parce que, même si certains théâtres estivaux nous ont habitués à des œuvres plus substantielles que les jolies petites comédies légères qui ne demandent pas trop de réflexion (on n’a qu’à penser à Juste Pour Rire qui a déjà monté des Molière, le Théâtre de l’Île d’Orléans qui y allait de comédies dramatiques comme Quelque part… un lac ou le défunt Bois-de-Coulonge qui ne se gênait pas pour monter Shaw ou autres classiques de la dramaturgie), il reste que ce genre de proposition a toujours été marginale. Proposer une pièce aussi dure et lourde qu’Oleanna en été relève presque de la folie. Une belle folie néanmoins.
Cela étant dit, période de folie planétaire, production estivale folle, on achète. Oleanna, créée à New York en 1992 avec William H. Macy (ER, Fargo, Magnolia, Shameless) et Rebecca Pidgeon, la femme de Mamet, la pièce, inspirée de l’affaire Clarence Thomas/Anita Hill qui a fait les manchettes en 1991, raconte l’histoire d’un professeur d’université, John (Raymond Cloutier) qui accueille une étudiante dans son bureau (Gwendoline Côté) pour discuter d’un travail qu’elle a remis et de sa difficulté à comprendre la matière et qui finit par être accusé d’abus de pouvoir, d’attouchements, de harcèlement sexuel. Sound familiar?
Bien qu’Oleanna ne figure pas parmi les meilleures pièces de Mamet, il reste que même du Mamet ordinaire fait de l’excellent théâtre. Cependant, ici, je crois que Raymond Cloutier, qui signe également la mise en scène (une erreur?) avec le soutien de Diane Langlois à la direction d’acteurs, manque le bateau. Les partitions de Mamet (parce qu’il s’agit bien ici de dialogues rythmés et punchés qui devraient être livrés sans trop de temps morts) sont toujours écrites comme un feu roulant de mots et de syllabes qui se bousculent au portillon. Une caractéristique que le traducteur, Pierre Legris, avait parfaitement comprise avec sa traduction géniale de Glengarry Glen Ross mais dont la virtuosité transparaît moins dans cette production, possiblement à cause des choix de mise en scène et de direction d’acteurs.
Lors de la première, Cloutier a semblé souffrir d’un vertigineux trou de mémoire qui a duré plusieurs secondes interminables. Il a tourné trois fois autour de Gwendoline Côté, assise raide comme une barre sur une chaise, avant d’enchaîner avec un bout de texte qui donnait l’impression qu’il venait de sauter plusieurs pages. D’ailleurs, l’entracte après moins de 40 minutes de spectacle devrait également être repensé. Qu’à cela ne tienne, en deuxième partie, pour les deuxième et troisième actes, les acteurs se sont sérieusement ressaisis et on a eu droit à des échanges solides qui nous ramenaient davantage dans l’univers de Mamet.
Je ne remets pas en cause le talent de ce monument qu’est Raymond Cloutier. L’ancien directeur du Conservatoire d’art dramatique de Montréal est un de nos plus grands acteurs. Je crois cependant qu’il aurait gagné à faire appel à un metteur en scène solide qui lui aurait donné un œil extérieur plus défiant, plus challenge-ant si vous me passez l’expression. La jeune Gwendoline Côté, fraîchement graduée du Conservatoire de Montréal en 2016, tire bien son épingle du jeu et crée un personnage qui correspond tout à fait à la vision de Mamet. Je l’avais trouvée excellente dans le rôle de Ginette dans Enfant insignifiant ! chez Duceppe l’hiver dernier, rôle qu’elle reprendra en tournée l’hiver prochain.
Cette production est somme toute assez réussie, mais aurait gagné à être créée un peu moins en vase clos. Petit bonus agréable? La musique originale – au piano – du comédien, auteur-compositeur-interprète Émile Proulx-Cloutier, fils de Danielle Proulx et de Raymond Cloutier, a-t-on besoin de le rappeler ?
Pour le texte de Mamet, pour la belle sortie à Sutton (découvrez la microbrasserie L’Abordage en même temps – pourquoi pas ?), pour le café-théâtre sympathique qu’est la salle Alec & Gérard Pelletier, pour un duel d’acteur qui deviendra de plus en plus solide au fur et à mesure que l’été avancera, je recommande.
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Oleanna de David Mamet
Traduction: Pierre Legris
Mise en scène: Raymond Cloutier, avec l’assistance de Diane Langlois
Avec Raymond Cloutier et Gwendoline Côté
Production: Raymond Cloutier
Du 6 juillet au 5 août 2018 (1h40 incluant l’entracte)
Salle Alec & Gérard Pelletier – 4-C, rue Maple, Sutton
Réservations: 450-538-0486 Information: salleagpelletier.com
Photos : Robert Ménard
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