par Yanik Comeau (Comunik Média)
Première pièce de la jeune comédienne Émilie Lajoie, graduée du Conservatoire d’art dramatique de Montréal en 2017, Notre petite mort traite de ce que l’on pourrait qualifier d’un des derniers tabous. Ou plutôt de ce qui serait devenu un tabou depuis que les femmes ne sont plus que des procréatrices. Pleurer son deuil de ne pouvoir donner la vie serait devenu tabou maintenant que les femmes devraient «plutôt» vouloir des carrières que des bébés, s’épanouir professionnellement plutôt qu’en faisant des enfants, faire passer la famille en deuxième. Bien sûr, je simplifie ici sans aucune intention de banaliser mais je formule volontairement de façon archaïque pour illustrer à quel point l’humain se met souvent devant le tout ou rien.
Notre petite mort, c’est donc l’histoire de Pascale (Émilie Lajoie) – et par ricochet celle de Martin (Simon Rousseau), son conjoint – qui a toujours eu dans l’idée d’enfanter un jour, de porter un bébé et de devenir mère. Maintenant qu’elle a trouvé l’amoureux avec qui elle pense faire un bon bout de chemin, celui qu’elle imagine comme géniteur, voilà qu’elle découvre qu’elle ne pourra pas devenir mère, du moins pas de la bonne vieille manière biologique.
Avec ce texte bien roulé, bien structuré, sensible et couvrant sans didactisme ou trop de statistiques un sujet complexe pas mal sous tous ses angles, Émilie Lajoie a su séduire Sophie Cadieux qui a accepté d’en signer la mise en scène. Faisant encore preuve d’une belle sensibilité et d’une grande finesse dans sa direction d’acteurs, la codirectrice/cofondatrice du Théâtre de la Banquette Arrière crée une ambiance feutrée dans la déjà bien nommée Salle intime du Théâtre Prospero. C’est sur et autour du lit conjugal que tout se jouera. Même le pique-nique avec la belle-mère (délicieuse Sylvie Potvin)!
Cette belle-mère aimante, généreuse, tendre, mais aussi maladroite (voire humaine, faillible) incarne presque à elle seule toutes les maladresses auxquelles sera confrontée la jeune femme qui doit faire le deuil de la maternité. Sylvie Potvin, une de nos grandes actrices comiques, livre ici une performance très drôle, soit, mais également très nuancée. Le casting est judicieux.
Émilie Lajoie évite les écueils souvent associés à jouer soi-même un texte que l’on a écrit et qui, peut-être, est trop proche de notre propre réalité. Son interprétation est sans faille, d’un naturel impeccable, tout comme celle de Simon Rousseau qui ne rate jamais la cible (notamment dans plusieurs productions du Théâtre de la Banquette Arrière dont Amour et information de Caryl Churchill à La Licorne). La chimie et l’amour du couple s’avèrent crédibles aussi.
Si on peut remettre en question le choix de faire jouer toute la pièce derrière un rideau de tulle (nos yeux poussent un grand soupir de soulagement lorsqu’Émilie Lajoie pousse le rideau pour le salut !), force est d’avouer que ce «feutre» ajoute une touche d’intimité. Notre petite mort est une belle pièce pour accueillir à nouveau le public dans la salle intime du Prospero et on se réjouit d’y être aussi.
Notre petite mort d’Émilie Lajoie
Mise en scène: Sophie Cadieux
Assistance à la mise en scène: Gabrielle Noumeir-Gagnon
Avec Émilie Lajoie, Simon Rousseau et Sylvie Potvin
Décor et costumes: Daniel Séguin Concepteur lumières: Martin Sirois Conseillers à la création: Félix Beaulieu-Duchesneau, Sophie Cadieux et Jean-François Nadeau
Du 1er au 19 mars 2022 (1h05 sans entracte)
Théâtre Prospero – salle intime, 1371, rue Ontario Est, Montréal
Renseignements : 514-526-6582 – theatreprospero.com
Photos: Annie Éthier
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