par Yanik Comeau (Comunik Média / ZoneCulture)
L’arrivée d’une nouvelle pièce de Carole Fréchette est toujours un événement. On attend ses textes sensibles, poétiques, denses avec une touche d’exotisme. L’auteure de Jean et Béatrice, Le Collier d’Hélène, La Peau d’Elisa et Je pense à Yu, sa dernière pièce créée il y a maintenant presque dix ans sur la même scène principale du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui, retrouve en quelque sorte sa maison, là où Michelle Rossignol, alors directrice artistique du CTDA, contribuait à la faire connaître. Nassara inaugure cette «nouvelle» salle principale renommée Salle Michelle-Rossignol et sa scène foulée par l’ancienne directrice artistique du CTDA Marie-Thérèse Fortin qui avait programmée Je pense à Yu lors de sa dernière saison. Combiné à l’émotion vive que j’ai ressentie en remettant les pieds dans ce théâtre que j’adore 18 mois après avoir été complètement bouleversé par Ceux qui se sont évaporés de Rébecca Déraspe ? Je me préparais à vivre quelque chose d’inoubliable.
Après nous avoir emmenés au Moyen-Orient dans Le Collier d’Hélène et à la Place Tienanmen dans Je pense à Yu, c’est à Ouagadougou au Burkina Faso que Carole Fréchette nous transporte par l’entremise de sa porte-parole, Marie-Odile Desnoyers (Marie-Thérèse Fortin) qui vient participer à un colloque (un peu comme la congressiste Hélène dans Le Collier d’Hélène), étrangère du nord venue dans le sud avec un double agenda : oui, le colloque sur l’agriculture urbaine et le networking pour son entreprise Terre à terre mais aussi une raison bien personnelle, répandre les cendres de sa sœur suicidée, presque toujours triste et malheureuse, sauf pendant la période qu’elle a passée dans la capitale burkinabè. Il y a aussi l’amour de Marie-Odile pour son fils parti. Un événement viendra bousculer le bon déroulement du colloque dans la deuxième moitié de la pièce, comme un élément déclencheur qui déclenche un peu tard parce que Marie-Odile est déjà pas mal déclenchée.
Malgré toutes les fines touches de poésie, les pincées d’anecdotes réalistes qui font sourire parce que si universelles, la richesse de la langue de Carole Fréchette, l’auteure fait plus que jamais appel à une lourde narration qui fait que le spectateur est constamment déconnecté de toute théâtralité. Marie-Thérèse Fortin et sa partenaire de scène – qui n’en est pas une parce que la partition de Carole Fréchette ne leur permet pas de jouer ensemble – sont contraintes à narrer de longs pans du récit haletant, certes, mais tristement désincarné sur papier.
Heureusement, il y a Sophie Cadieux qui a tout donné pour mettre en scène et dramatiser ce texte qui aurait pu demeurer sur papier autrement. Elle a travaillé en présentiel (malgré mon allergie à ce mot) avec deux interprètes remarquables et en virtuel avec un troisième, Moussa Sidibé, préenregistré et projeté sur les murs blancs. Parce qu’on n’a pas pu obtenir de visa pour le faire venir à Montréal en cette période de pandémie ? Parce que l’auteure avait écrit le texte ainsi et voulait que le personnage d’Ali ne soit qu’une voix désincarnée à qui Marie-Odile s’adresse ? Je n’en sais rien mais c’est rien pour aider la théâtralisation de ce texte qui, après tout, devait être une pièce de théâtre.
La mise en scène de Sophie Cadieux s’affaire donc d’arrache-pied à rendre le tout théâtral… parfois par des procédés cinématographiques et de beaux effets d'éclairage. Excellente directrice d’acteurs, elle exploite avec bonheur l’immense talent de cette virtuose qu’est Marie-Thérèse Fortin qui offre un véritable master class d’interprétation. Stephie Mazunya joue avec un aplomb remarquable dans ce rôle de narratrice pas trop clair et donne une couleur (sans mauvais jeu de mots) qui, sinon, n’aurait été que faiblement incarnée par la narration de Marie-Odile qui nous présente et fait parler les participants africains et européens du colloque. Moussa Sidibé tire également bien son épingle du jeu, lui qui a dû jouer à distance et vient virtuellement saluer avec ses partenaires de scène à la fin. Malheureusement, malgré tout le travail de l’équipe (metteure en scène ingénieuse et créative, comédienne qui joue la chaleur merveilleusement bien, scénographe qui fait tourner un ventilateur au ralenti au-dessus de la salle du colloque, réalisateur vidéo qui nous offre de magnifiques stock shots de végétation luxuriante…), la distance que crée l’absence du comédien sur scène ici, en vrai, vient briser la magie.
Bref, il faut voir Nassara pour la direction d’acteurs de Sophie Cadieux et l’interprétation remarquable du trio de comédiens, Marie-Thérèse Fortin en tête. Pour le texte, il faut que Carole Fréchette cesse de prendre des raccourcis sous prétexte qu’on achètera sa belle poésie sous toutes ses formes. Revenez à une certaine théâtralité, s’il vous plaît.
Nassara de Carole Fréchette
Mise en scène: Sophie Cadieux
Assistance à la mise en scène et régie: Stéphanie Capistran-Lalonde
Interprétation: Marie-Thérèse Fortin, Stephie Mazunya et Moussa Sidibé
Scénographie: Max-Otto Fauteux
Éclairages: Martin Sirois
Costumes : Rouquaïya Yerima
Musique originale: Ghislain Poirier
Réalisation vidéo : Amadou Diagabaté
Une création du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui et du Théâtre des Récréâtrales (Ouagadougou)
Du 7 au 25 septembre 2021 (1h20 sans entracte)
Salle Michelle-Rossignol – Théâtre d’Aujourd’hui, 3900, rue Saint-Denis, Montréal
Billetterie: 514-282-3900 poste 1
Photos : Valérie Remise
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