top of page
Photo du rédacteur

«Mort d’un commis-voyageur» d'Arthur Miller: Marc Messier éblouissant en Willy Loman

par Yanik Comeau (Comunik Média / ZoneCulture)


À chaque fois qu’un acteur se mesure à un rôle légendaire, que ce soit Hamlet, Tartuffe, Don Juan, Don Quichotte, Lennie dans Des souris et des hommes…, il est attendu avec une brique et un fanal. Avoir le culot de dire ‘oui’ – ou alors carrément de se proposer dans un tel rôle –, ça prend des couilles. Dire ‘oui’ à Willy Loman après Rod Steiger, Dustin Hoffman, Brian Dennehy, Philip Seymour Hoffman et chez nous, Jean Duceppe et plus récemment, Michel Dumont, c’est un défi casse-cou, c’est le moins que l’on puisse dire. Un challenge que Marc Messier attaque tête baissée pas d’casque et relève avec une (apparente) facilité complètement déconcertante. Qui aurait cru que cette pièce, créée en 1949 alors que notre Marc Gagnon national (du National) n’avait même pas encore deux ans, donnerait l’impression d’avoir été écrite par le grand Arthur Miller avec Messier en tête ?



Cette reprise magistrale, dont la traduction et la mise en scène sont assurées par un Serge Denoncourt au sommet de sa forme, en pleine possession de ses moyens et se mettant totalement au service d’une des œuvres théâtrales les plus marquantes du 20e siècle, ouvre de belle façon la 69e saison du Théâtre du Rideau-Vert sous la supervision et l’œil aiguisé de sa directrice artistique, Denise Filiatrault, qui célèbre elle-même cette année 70 ans de carrière.



Denoncourt fait appel à un grand complice en Guillaume Lord à la scénographie. Le décor est à la fois sobre et stylisé, réaliste et onirique – permettant facilement les flashbacks, les hallucinations et les élucubrations de ce pauvre Willy qui, toute sa vie, a tenté de se bercer de l’illusion que le American Dream était juste là, au bout de ses doigts et au bout des doigts de ses deux fils, surtout son aîné, Biff (Éric Bruneau, plus que jamais branché sur ses émotions et sur les ambiguïtés déchirantes de son personnage) et Happy (l’adorable Mikaïl Ahooja que nous avons pu apprécier au fil des années au petit écran dans 19-2, Au secours de Béatrice et que je n’oublierai jamais au cinéma dans La maison du pêcheur d’Alain Chartrand).



Aux côtés de Marc Messier, dont je ne pourrai jamais chanter trop les louanges dans ce rôle colossal, complexe, troublant, touchant et drôle malgré lui par moments (fort heureusement, Messier évite l’écueil des recettes comiques qui l’ont si bien servi dans Broue, Les Boys ou La P’tite Vie, entre autres, choses sur lesquelles il aurait pu facilement miser devant le public du Rideau Vert qui, sans doute, fan de ces classiques, aurait gobé avec plaisir), Louise Turcot, dans le rôle de Linda Loman, la femme fidèle, généreuse et solidaire à la vie à la mort, succédant à de grosses pointures comme Kate Reid, Julie Harris et Béatrice Picard, est à la fois déchirante et puissante, faisant preuve d’une complicité fascinante avec Messier.



Dans cette imposante distribution de douze acteurs, j’aimerais aussi souligner les performances de Robert Lalonde dans le rôle de Ben Loman, le grand frère de Willy, celui qui a réussi, celui qui l’a réalisé, le American Dream. Lalonde est charismatique et troublant, old world charm et diaphane – si vous me permettez l’expression – grâce, en partie, je crois, au costume que lui a créé Ginette Noiseux, la directrice artistique de l’Espace Go (qui revient à ses anciennes amours ? Est-ce le début d’une nouvelle collaboration entre elle et Denoncourt qui a récemment perdu son complice de toujours aux costumes, le regretté François Barbeau ?). Charles-Alexandre Dubé, que j’aime d’amour depuis Toute la vérité, Unité 9, La maison du pêcheur et tout particulièrement le film Liverpool dans lequel il tient un des rôles principaux, est à la fois amusant et nuancé en Bernard et, bien que le casting de Manuel Tadros dans le rôle de son père puisse sembler un drôle de choix, ce dernier est néanmoins excellent. Pour sa part, Marilyse Bourke (Une grenade avec ça ?, km/h, O’) est magnifique, parsemée à travers la pièce dans le petit rôle de La Femme, important dans le dénouement de cette triste histoire familiale.



Sans remettre en question la pertinence de cette excellente production d’un classique de la dramaturgie américaine, je m’amuse à remarquer que la Compagnie Jean Duceppe, qui a été fondée sur La mort d’un commis voyageur et Charbonneau et le Chef et qui a repris ces pièces quelques fois par la suite, multipliant les productions de traductions américaines et en faisant ses choux gras pendant des années, offre cette année deux créations et une reprise québécoises (les nouvelles pièces de Steve Galluccio et de Michel Tremblay ainsi que Le Chemin des Passes Dangereuses de Michel Marc Bouchard) alors que le Rideau Vert, reconnu pour nous avoir donné d’importantes créations d’ici (Les Belles-Sœurs, Le Vrai Monde ?, les pièces d’Antonine Maillet dont l’incontournable Sagouine …), présente pas moins de quatre traductions/adaptations d’œuvres américaines et britannique (une pièce de Pinter). The times they are a’changing? Peut-être depuis un moment, en fait… et il n’y a rien de mal là-dedans… Keep them on their toes, right?


La Mort d’un commis-voyageur (Death of a Salesman) Texte : Arthur Miller Traduction et mise en scène : Serge Denoncourt Avec Marc Messier, Louise Turcot, Mikaïl Ahooja, Éric Bruneau, Robert Lalonde, Charles-Alexandre Dubé, Manuel Tadros, Marilyse Bourke, Jean-Moïse Martin, Sarah Cloutier Labbé, Aude Lachapelle et Mathieu Richard. Une production du Théâtre du Rideau Vert Jusqu’au 4 novembre 2017 et en tournée en janvier et février 2018 (2h15 plus entracte) Théâtre du Rideau Vert, 4664, rue Saint-Denis, Montréal Réservations : 514-844-1793

39 vues0 commentaire

Commenti


bottom of page