par Yanik Comeau (ZoneCulture / Comunik Média) Le Théâtre Bistouri présente ces jours-ci – et jusqu’au 9 décembre – la toute nouvelle création de son directeur artistique, Marc-André Thibault, une comédie noire intitulée Mazal Tov (qu’on peut aussi écrire Mazel Tov pour ceux qui croiraient que c’est une faute de frappe ou une erreur de l’auteur !) à la salle intime du Prospero. Après avoir baigné dans l’univers d’une famiglia italienne assez tordue avec la comédie Les Secrets de la Petite-Italie de Steve Galluccio chez Duceppe et les relations familiales de cousins juifs new-yorkais dans le Bad Jews de Joshua Harmon au Segal Center, j’avais hâte de découvrir le choc des cultures entre le Québécois de souche (ça existe-tu encore, ça ? – Appelons-le plutôt ce qu’il est ‘le ti-cul casquette’) et la famille juive montréalaise traditionnelle. Je n’ai pas été déçu. On voit que Marc-André Thibault a fait sa recherche. Et ça se confirme en lisant les remerciements dans le programme. Conseillers pour les questions judaïques, juridiques et médicales. Mais jamais on ne sent cette recherche ou un quelconque didactisme qui tomberait sur les nerfs. L’auteur a créé ici des personnages crédibles, pleins de défauts, parfois sympathiques, mais à qui on aurait envie de lancer un escarpin par la tête à tour de rôle !
François-Simon Poirier
Patrick, un jeune homme pas très sûr de lui, qui gagnerait à renforcer sa colonne vertébrale, aime Isabelle de tout son cœur. Il s’est trouvé une fille forte, déterminée, qui a de la drive et qui le mène par le bout du nez. Une fille de riche. Une fille à papa. Une fille issue d’une famille traditionnelle juive. Patrick acceptera de faire un mariage – mais surtout une réception – qui respecte certaines traditions hébraïques. Il fera beaucoup d’efforts… et se blessera même de façon un peu ridicule en fracassant un verre pour «respecter la tradition».
Stéphanie Jolicoeur
Mais cet incident, qui aurait pu être banal et sans trop de conséquences – ne serait-ce que retarder le voyage de noces – n’est rien comparé à ce qui découlera de ce qu’Isabelle accusera Philippe, le meilleur ami de Patrick, d’avoir fait pendant la réception. Un geste antisémite qu’on peut difficilement pardonner dans un pareil contexte. Mais Philippe l’a-t-il vraiment posé, ce geste ? La situation dégénérera à un point tel que tout le monde – à un moment ou un autre – se retrouvera dans un lit d’hôpital ! Marc-André Thibault signe un texte à la fois intelligent et nono dans le meilleur sens du terme. C’est une comédie dramatique (pas dans le sens que toutes les comédies sont ‘dramatiques’ parce que ‘théâtrales’ mais dramatique dans le sens de ‘glissant vers la tragédie, le drame’) finement écrite à laquelle il nous convie. On rit beaucoup, plusieurs des situations sont complètement absurdes, mais la majorité de la pièce n’est pas drôle du tout et les situations dans lesquelles se trouvent les personnages ne sont pas matière à rigolade (je pourrais vous les énumérer ici, mais je vous en dévoilerais trop).
Alexis Lemay-Plamondon
Appuyé par une distribution béton, Thibault-metteur en scène dirige de main de maître et utilise de façon absolument brillante le décor conçu par Cédric Lord. François-Simon Poirier en Patrick fait preuve d’une maîtrise du timing comique qui rappelle les plus grands sans tomber dans la caricature ou le burlesque. Alexis Lemay-Plamondon en Philippe incarne le jeune homme typique, pas encore sortie de l’adolescence, le «ti-cul casquette» qui conduit une Honda Civic (ou peut-être une Hyundai Quelque chose depuis que Guillaume Lemay-Thivierge est le porte-parole de cette compagnie) et qui assiste au mariage de son chum plus rangé que lui mais qui jamais ne penserait se mettre la corde au cou maintenant.
Jean-François Casabonne
Interprétation impeccable. Dans le rôle d’Isabelle, Stéphanie Jolicoeur nous donne une jeune femme juive née de parents originaires ‘des vieux pays’ et ayant fréquenté, sans doute, le Collège Français ou une autre de ces institutions où l’on ne perd pas son accent «étranger». Absolument sans faille. Une vraie de vraie découverte. Et que dire de l’extraordinaire Jean-François Casabonne qui compose un papa traditionnel juif d’une crédibilité sans faille avec un petit accent et une voix graveleuse qui donne l’impression que Manuel Tadros a pris possession de son corps ? Un hasard que Tadros soit dans les remerciements du programme ? Hum… Casabonne est un de nos plus grands acteurs, on ne le dira jamais assez. Ma première expérience avec Marc-André Thibault et le Théâtre Bistouri en aura été une mémorable et j’ai très hâte à leur prochain spectacle. Je me mords les pouces d’avoir raté Les Ossements de Connemara, la pièce de l’Irlandais Martin McDonagh (Le Pillowman, Billy l’Éclopé, La Reine de beauté de Leenane…) que Thibault a traduite et présentée au Prospero en 2015 avec Danielle Proulx et Hugo Giroux. J’espère que j’aurai la chance de voir la reprise de Conversation avec mon pénis de Dean Hewison (encore traduite par Thibault) au théâtre Premier Acte de Québec cet hiver. Mais surtout, j’ai déjà hâte de voir ce qu’écrira Thibault-auteur après ce Mazal Tov que j’aimerais voir être repris sur de plus grandes scènes montréalaises (pourquoi pas chez Duceppe, messieurs Traversy et Laurin ?) et québécoises (Allô ? Monsieur Nadeau à La Bordée ? Madame Olivier au Trident ?) ou traduit en anglais pour une production au Segal (bonne idée, Mrs. Rubin ?). Mazal Tov de Marc-André Thibault Mise en scène : Marc-André Thibault Avec Jean-François Casabonne, Stéphanie Jolicoeur, Alexis Lemay-Plamondon et François-Simon Poirier Une production du Théâtre Bistouri Du 21 novembre au 9 décembre 2017 (1h40 sans entracte) Théâtre Prospero – salle intime, 1371, rue Ontario Est, Montréal Renseignements : 514-526-6582 – theatreprospero.com Photos : Hugo B. Lefort
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