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«Les Sorcières de Salem» d’Arthur Miller: Promenons-nous dans les bois

Dernière mise à jour : 8 nov. 2021

par Yanik Comeau (Comunik Média / ZoneCulture)


Comme tous les hommes dans la vie de Marilyn Monroe, le dramaturge Arthur Miller était le All American man’s man. Quand il écrit un de ses nombreux chefs d’œuvre, The Crucible en 1953, c’est pour dénoncer le maccarthysme qui règne sous Harry S. Truman et cette nouvelle «chasse aux sorcières» qui traque cette fois les potentiels agents secrets procommunistes et les sympathisants «rouges» dont des artistes mis sur la liste noire par le House Un-American Activities Committee. C’est en traçant des parallèles entre les procès de Salem de 1692 et les audiences du Senateur McCarthy que Miller en vient à écrire sa fresque sur le déchirement que peuvent causer de fausses accusations motivées par la jalousie et la haine.



Presque quinze ans après le décès du récipiendaire du Prix Pulitzer, la jeune dramaturge Sarah Berthiaume, à qui l’on doit déjà quelques pièces marquantes dont Yukonstyle, Nyotaimori et Antioche, se demande ce serait quoi, monter Les Sorcières de Salem à l’ère des dénonciations sur les réseaux sociaux, en reprenant l’histoire de Miller mais lui ajustant le point de vue un tant soit peu. En fait, en lui ajoutant des scènes et en nous faisant beaucoup plus plonger dans la psyché de ces personnages féminins riches créés par un homme et ré-explorés avec une sensibilité plus dynamique, plus féminine certes et résolument plus moderne malgré que l’on demeure dans l’époque où Molière écrivait et jouait ses pièces en France.



L’histoire d’Abigail Williams (Emmanuelle Lussier-Martinez qui sort à peine de scène chez Duceppe où elle a tenu le rôle principal de Cindy dans Manuel de la vie sauvage de Jean-Philippe Baril Guérard), servante et maîtresse clandestine du fermier John Proctor (Étienne Pilon), est congédiée par la maîtresse de maison (Evelyne Gélinas) qui souhaite étouffer l’écart de son mari et tout pardonner en bonne Chrétienne. Lorsqu’Abigail se joindra à l’esclave Tituba (Anna Beaupré Moulounda) pour faire la fête et – pourquoi pas? – quelques danses occultes dans la forêt avec un groupe de jeunes femmes, celles-ci seront épiés par le Révérend Parris (Sébastien Rajotte) qui, troublé par ces comportements louches, soupçonnera les filles de sorcellerie, de possession et de quoi encore? Rapidement, les accusations fuseront de partout et Abigail profitera de l’occasion pour faire inculper sa rivale pour le cœur de John Proctor.



C’est Tituba qui sera notre guide dans ce suspense rendu plus captivant que l’original de Miller par le texte plus percussif et frappant de Sarah Berthiaume, la mise en scène typiquement physique et réglée au quart de tour d’Édith Patenaude (Titus d’après Shakespeare, Corps célestes de Dany Boudreault et Oslo de J.T. Rogers) et la musique – surtout portée par des battements de tambours incessants – d’Alexander MacSween. Le choix des noirs, blancs, nuances de gris n’est pas un hasard non plus. Édith Patenaude est une metteure en scène de vision, une solide directrice d’acteurs et tout de cette production fonce à vitesse grand V dans la même direction.



Anna Beaupré Moulounda offre une performance magistrale empreinte d’une dignité presque souveraine dans le rôle de l’esclave Tituba qui, même lorsqu’elle se fait malmener physiquement (et cette production ne recule devant aucune violence bien chorégraphiée – comme ça avait été le cas dans Titus aussi), réussit à s’imposer et à commander le respect. Emmanuelle Lussier-Martinez et Evelyne Gélinas sont à la fois fortes et réservées dans les rôles des «rivales» crédibles, une qui veut clairement le corps, l’autre clairement l’âme de John Proctor (le charismatique Étienne Pilon) qui s’avérera l’ultime victime – juste retour des choses diront certain.e.s –, celui par qui tout ça devait ultimement passer. Les Luc Bourgeois, Mathieu Gosselin, Sébastien Rajotte (Hale, Danforth, Parris) rendent justice à leurs personnages devenus curieusement accessoires mais toujours aussi menottés par leurs convictions, leur désir de normalité, de soif du statut quo qui les gardera dans leurs positions de pouvoirs.



On attendait ces Sorcières pour le printemps 2020 mais c’est finalement quelques jours après l’Halloween 2021 qu’elles sortiront de la forêt et viendront à la rencontre de leur public pour notre plus grand bonheur.


Les Sorcières de Salem d’après Arthur Miller Traduction et adaptation: Sarah Berthiaume Mise en scène: Édith Patenaude Assistance à la mise en scène: Alexandra Sutto Avec Anna Beaupré Moulounda, Adrien Bletton, Luc Bourgeois, Maude Boutin St-Pierre, Evelyne Gélinas, Mathieu Gosselin, Catherine Larochelle, Emmanuelle Lussier-Martinez, Étienne Pilon, Sébastien Rajotte, Anna Sanchez et Elisabeth Smith Scénographie: Odile Gamache

Accessoiriste et assistante au décor: Anne-Sophie Gaudet Costumes: Cynthia St-Gelais Assistante aux costumes: Julie Pelletier Éclairages: Martin Sirois Musique et conception sonore: Alexander MacSween Assistante à la conception sonore: Annie Préfontaine Conseillère à la dramaturgie: Marianne Loignon Coiffures et maquillages: Florence Cornet Conseillère au mouvement: Jamie Wright Conseillère: Marie-Louise Bibish Mumbu Coach de voix: Luc Chandonnet Une production du Théâtre Denise-Pelletier Du 3 au 27 novembre 2021 (1h55 sans entracte) Théâtre Denise-Pelletier, 4353, rue Sainte-Catherine, Montréal Réservations: 514-253-8974 Information: www.denise-pelletier.qc.ca Photos: Gunther Gamper

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