par Yanik Comeau (Comunik Média)
Les Barbelés d’Annick Lefebvre est un texte né ni plus ni moins d’une commande de Wajdi Mouawad, ancien directeur du Théâtre de Quat’Sous, maintenant directeur du prestigieux La Colline – Théâtre National de Paris. L’auteur d’Incendies et Forêts souhaitait offrir aux Français la voix éveillée et provocatrice de la jeune auteure québécoise. À partir de là, il s’agissait qu’elle ait quelque chose à dire, cette Annick Lefebvre qui n’a jamais manqué de mots ou de choses à dire. Clairement, la société exaspérante, révoltante, de plus en plus étouffante que nous créent nos concitoyens lui aura encore fourni toute la matière dont elle avait besoin.
Après avoir travaillé quelques fois précédemment avec la comédienne Marie-Ève Milot, cette fois, Lefebvre fait de Milot sa muse comme Tremblay l’a fait de Lafontaine. C’est un monologue, une série de coups de gueule qui n’auraient pas dû être retenus et qui l’ont été trop longtemps auxquels on a droit. Dans un appartement dont le cœur semble avoir été épargné par l’éclatement de l’ultime bombe lancée par la race humaine, cette femme qui a trop gardé le silence, qui a laissé pousser en elle les barbelés qui l’étoufferont, qui lui déchireront la gorge, les entrailles, qui lui agraferont les lèvres dans moins d’une heure, tente de dire tout ce qu’elle a retenu depuis des jours, des mois, des années, tout en épluchant furieusement pamplemousse sur pamplemousse, sans jamais goûter le délicieux fruit acidulé de son labeur.
Bien que le texte tombe parfois dans des lieux communs qui font sourire mais qui sont souvent bien tournés comme dans les meilleurs monologues de standup, des anecdotes qui font même parfois rire aux éclats bien que ni le propos ni la situation apocalyptique ne soient particulièrement drôles (on en convient !), on ne peut nier le plaisir évident que semble prendre Annick Lefebvre à choisir chacun des mots avec minutie. Pas plus que l’on peut nier le plaisir d’écouter un texte bien écrit. Qu’à cela ne tienne, malgré l’interprétation magistrale de Marie-Ève Milot, la mise en scène et direction d’actrice fort habiles d’Alexia Bürger (on se rappellera que c’est elle, l’auteure et metteure en scène de la production Les Hardings du Théâtre d’aujourd’hui la saison dernière) et la contribution non-négligeable de la conseillère au mouvement Anne Thériault, c’est la motivation du personnage, la raison derrière cette série de mini montées de lait que l’on retiendra bien plus que les incidents anecdotiques sommes toutes pertinentes mais tellement quotidiennes qu’elles en deviennent tristement banales. Ce n’est pas un reproche fait à l’auteure mais plutôt une humble tentative du critique d’abonder dans le même sens !
Cependant, plusieurs des tournures de phrase, des expressions, des références culturelles crachées par le personnage semblent tellement de leurs temps que l’on finit par se demander si la pièce ne manque pas d’intemporalité. Bien sûr, peut-être ne faille-t-il pas trop s’en faire avec ça puisque, de toute façon, la pièce n’aura que quelques années pour être traduite, reprise, présentée, avant que toute la race humaine ne soit anéantie, auto-exterminée, étouffée par des barbelés.
Qu’à cela ne tienne, en attendant, il vaut la peine d’aller applaudir Marie-Ève Milot dans un solo qui ne laisse personne indifférent et dont l’urgence crie presqu’aussi fort que sa fin troublante qui nous éclate au visage comme… choisissez votre fruit, insérez-y votre pétard.
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Les Barbelés d’Annick Lefebvre Mise en scène: Alexia Bürger Conseillère aux mouvements: Anne Thériault Avec Marie-Ève Milot Une coproduction du Théâtre de Quat’Sous et de La Colline – Théâtre National, Paris Du 4 au 26 septembre 2018 (1h15 sans entracte) Théâtre de Quat’Sous, 100, avenue des Pins Est, Montréal Billeterie: 514-845-7277
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