par Yanik Comeau (Comunik Média / ZoneCulture)
Rares sont les événements théâtraux auxquels participent dix auteurs, dix interprètes, cinq compagnies et qui sont présentés dans quatre provinces (au moins, jusqu’à maintenant) en six langues. Le Wild West Show de Gabriel Dumont, une gigantesque fresque historique, à la fois divertissante et informative, autocritique et à l’humour «auto-décapant», arrive donc comme un buffle dans un jeu de quilles, un vent de fraîcheur qu’il est difficile de ne pas attribuer en grande partie à Alexis Martin, un des initiateurs du projet.
Gabriel Dumont, c’est ce commandant métis de Louis Riel, celui que l’on connaît un peu moins que le «père du Manitoba». Riel (incarné avec grande tendresse par le Franco-Manitobain Gabriel Gosselin) a aussi sa place dans cette toile gigantesque à laquelle ont contribué des auteurs québécois (Alexis Martin), manitobain (Laura Lussier), saskatchewanais (David Granger, Gilles Poulin-Denis), ontariens (Jean Marc Dalpé, Mansel Robinson), algonquin (Yvette Nolan) et cris (Andrea Menard, Paula-Jean Prudat, Kenneth T. Williams) – qu’il est presque criminel de catégoriser ainsi puisqu’ils pourraient se retrouver, pour la majorité, dans plus d’une boîte à la fois.
Avant même que ne commence le spectacle, comme nous l’annonce Jean Marc Dalpé-comédien, qui incarne avec Alexis Martin, un des deux maîtres de piste de ce grand récit circassien théâtralisé, pendant que l’histoire de Gabriel Dumont se déroule dans les prairies du Canada et des États-Unis, le célèbre Buffalo Bill est à Montréal pour y présenter son gigantesque et – disons-le – carrément grotesque Wild West Show bien à lui. Dumont rencontrera Bill (délicieusement incarné avec verve par la formidable Dominique Pétin qui pétille et brille dans une multitude de personnages tout au long du spectacle) et participera même à la tournée du spectacle du pittoresque Américain, question de gagner sa vie, mais il réalisera rapidement que son cœur n’y est pas.
Pendant que Riel tente de révolutionner par la douceur, par la prière, par la paix, Dumont est un guerrier, un belliqueux qui ne croit pas à l’efficacité du gant de velours. Les deux hommes s’opposeront mais se respecteront et développeront une affection et une amitié touchantes et bien représentées dans les moments plus intimes de la pièce.
Le spectacle ne prend clairement pas le parti de l’exactitude historique ou de la rectitude politique, mais c’est là toute sa force. Comme dans le Camilien Houde, le p’tit gars de Sainte-Marie que nous a offert Alexis Martin à la fin de l’été au NTE, Le Wild West Show de Gabriel Dumont se donne des libertés rafraîchissantes qui pourraient faire frémir les historiens, mais qui rendent le côté didactique (presque complètement évacué et c’est tant mieux) du spectacle plus appétissant, plus comestible, plus digeste. Se faire décrire des combats de ‘cowboys et d’indiens’ par René Lecavalier (formidable Alexis Martin) et Don Cherry en veston ‘drapeau du Canada’ (un Jean Marc Dalpé des plus colorés – sans jeu de mot !) ou apprendre des faits historiques dans le cadre d’une parodie de quiz télé opposant Dumont à Riel – témoins sonores inclus – c’est du Alexis Martin-dramaturge tout craché. Et on serait fou de bouder son plaisir !
Dans ce spectacle de plus de 135 minutes, aux allures de gros party désorganisé mais magnifiquement réglé au quart de tour par Mani Soleymanlou à la mise en scène, la musique et la conception sonore de Olaf Gundel et Benoît Morier, interprétées par la talentueuse et incroyablement polyvalente Andrina Turenne (qui chante sublimement, de surcroît!), sont omniprésentes sans être envahissantes, ingénieuses et absolument rafraîchissantes.
Chacun des interprètes – originaires, comme les auteurs, des différents coins de notre grand, grand pays – est à sa place dans cet engrenage sans faille. Je me permettrais néanmoins de souligner (ou de souligner encore) les performances formidables d’Alexis Martin (sa création d’homme du clergé complètement loufoque – une pièce d’anthologie! – vaut le prix du billet à elle seule!), de Dominique Pétin (multipliant les personnages et s’abandonnant complètement à chacun d’eux, elle est vraiment au sommet de sa forme ici), de Jean Marc Dalpé (une découverte pour moi comme acteur, lui que je connaissais surtout comme dramaturge), de Krystel Pederson (dans le rôle de Montana Madeleine, entre autres, une présence à couper le souffle), de Chancz Perry (charismatique, drôle, agile – c’est lui qui signe aussi les éléments ‘mouvement’ du spectacle) et le numéro époustouflant du danseur autochtone Christopher Mejaki, béni d’un charme et d’une énergie qui laissent bouche bée.
Après Bashir Lazhar, un ‘petit spectacle’ intimiste et tout en nuance, le Théâtre d’aujourd’hui nous offre un cirque éléphantesque amusant qui nous en met plein la vue. Le directeur artistique Sylvain Bélanger respecte à la fois le mandat de l’institution fondée en 1968 de nous faire entendre les voix de la dramaturgie d’ici tout en nous montrant à quel point ces voix sont diversifiées et multicolores cinquante ans plus tard.
Le Wild West Show de Gabriel Dumont Texte : Jean-Marc Dalpé, David Granger, Laura Lussier, Alexis Martin, Andrea Menard, Yvette Nolan, Gilles Poulin-Denis, Paula-Jean Prudat, Mansel Robinson et Kenneth T. Williams Mise en scène : Mani Soleymanlou Avec Charles Bender, Jean-Marc Dalpé, Katrine Deniset, Gabriel Gosselin, Alexis Martin, Émilie Monnet, Krystle Pederson, Chancz Perry, Dominique Pétin, Andrina Turenne et la participation spéciale de Christopher Mejaki Une coproduction du Théâtre français du Centre national des Arts (Ottawa), du Nouveau Théâtre Expérimental (Montréal), du Théâtre Cercle Molière (Winnipeg) et de la Troupe du Jour (Saskatoon) en collaboration avec le Centre du Théâtre d’Aujourd’hui Jusqu’au 18 novembre 2017 (2h40 incluant un entracte) Salle principale – Centre du Théâtre d’Aujourd’hui, 3900, rue Saint-Denis, Montréal Photos : Jonathan Lorange
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