par Yanik Comeau (Comunik Média / ZoneCulture)
La réputation de Jasmine Dubé comme auteure sensible et branchée sur les émotions des tout-petits n’est plus à faire. Avec des pièces comme Petit Monstre, La Bonne Femme, Le Bain, des petits romans comme ceux de la série Nazaire et même des contes dans la série Passe-Partout, elle s’est méritée une place de choix dans l’univers du théâtre pour enfants et de la littérature jeunesse. Avec Lascaux, elle fait une incursion dans un monde apocalyptique, beaucoup plus noir quoiqu’empreint d’espoir, mais elle tombe – comme son personnage de Madeleine dans la caverne – dans une triste mièvrerie poétique où jeux de mots faciles, métaphores éculées et langage enfantin primitif noient la prémisse de départ, l’éclair de génie qui aurait pu (et surtout dû) donner une pièce brillante, transcendante.
Malheureusement, Lascaux vacille entre le théâtre pour les tout-petits (qui au final n’y comprendraient pas grand-chose) et le théâtre pour adultes (qui ont plutôt l’impression de se faire parler comme s’ils étaient déficients). Madeleine (Maman de laine, comme l’appellera son fils Lascaux, comme si on n’avait jamais entendu ça avant – ce qui m’a sérieusement fait rouler des yeux), une femme résiliente qui, en fuyant la guerre, la laideur de l’Humanité, tombe dans une caverne dont elle n’arrive pas à sortir, découvre qu’elle est enceinte et devra faire avec les moyens du bord pour prendre soin de son fœtus, nourrir son bébé, apprendre les rudiments de la vie à son fils. On reconnaît le grand talent de Jasmine Dubé à créer des personnages riches, mais ici elle s’égare, peut-être parce que la proposition est ambitieuse, presque impossible à condenser en un spectacle de 75 minutes.
Les choix de mise en scène de Jasmine Dubé et de Pierre Robitaille sont une autre des grandes faiblesses du spectacle. La magnifique scénographie d’Erica Schmitz, les projections et l’éclairage inspirés de Thomas Godefroid ainsi que le travail de la marionnettiste et spécialiste de théâtre d’ombre Marcelle Hudon (dont la magie faisait son effet sur le fascinant spectacle L’Effet Hyde la saison dernière) sur les ombres sublimes, très claires références à l’art paléolithique de la grotte de Lascaux, ne seront pas suffisants pour racheter les trop nombreuses ellipses, les innombrables passages au noir qui deviennent absolument insupportables. Au début, on se résigne. On se dit qu’il faut transmettre aux spectateurs le message que Madeleine est dans la caverne pendant un bon moment avant de découvrir qu’elle est enceinte. Puis, on doit comprendre que plusieurs jours passent avant qu’elle enfante. Puis, le petit Lascaux doit passer de bébé qui boit au sein à bambin qui grandit, apprend à marcher, parler, attraper des poissons dans la crique souterraine qui traverse la caverne. Mais chacun de ces mini-tableaux – certains qui durent moins de dix secondes ! – deviennent autant de frustrants coïts interrompus (pardonnez-moi l’image) qui empêchent le spectateur de s’imprégner de l’émotion, de vraiment vivre l’épreuve, de s’imbiber des quelques beaux moments de poésie, de suivre le périple des personnages.
Peut-être que ces constantes coupures d’éclairage viennent aussi contribuer à la faiblesse du jeu des acteurs. Dans le rôle de Madeleine, Marjorie Vaillancourt semble trop parler. Jasmine Dubé, dans son texte, justifie ce choix en faisant dire à Madeleine qu’elle doit parler pour ne pas sombrer dans la folie (je paraphrase), mais cette narration aussi devient lourde, agaçante. Jules Ronfard, en Lascaux (d’abord voix et manipulateur de la marionnette, puis jeune garçon aux carences linguistiques), souffre un peu moins de cette difficulté dans sa partition, mais semble néanmoins lutter pour rester vrai, pour éviter de tomber dans le gnan-gnan enfantin. Dans le rôle de la voix de Dordogne, la tortue éternelle, la voix de la sagesse, de la raison, Éva Daigle fait ce qu’elle peut, mais la lourdeur un peu cliché qu’on lui impose pour incarner la vieillesse, la lenteur du reptile massif finit non seulement pas peser (dans tous les sens du terme) mais nuire à la limpidité des mots.
En sortant d’une représentation de Lascaux, on s’étonne d’avoir été si peu touché et on a l’impression d’avoir assisté à un spectacle long (alors que…). En lisant le mot de Jasmine Dubé et celui de Pierre Robitaille dans le programme, on se dit que le rêve qui a inspiré la première était peut-être une belle prémisse de départ mais que le texte, qui a passé ensuite plusieurs années dans son tiroir, aurait peut-être dû y rester. Ou aurait dû être soumis à un laboratoire puis rigoureux.
Puis, on se dit que tout le monde a droit à l’erreur. Que de grands artistes, de grands créateurs comme Jasmine Dubé ont aussi le droit à des dérapages. Ça fait partie d’un parcours de créateur.
Lascaux de Jasmine Dubé Mise en scène: Jasmine Dubé et Pierre Robitaille Assistance à la mise en scène: Laurence Croteau-Langevin Avec Éva Daigle, Jules Ronfard et Marjorie Vaillancourt Ombres: Marcelle Hudon Marionnettes: Pierre Robitaille Lumières: Thomas Godefroid Décor, accessoires et costumes: Erica Schmitz Musique et environnement sonore: Christophe Papadimitriou Conseillère aux mouvements: Marilou Castonguay Direction technique et régie: Gabriel Duquette Une coproduction Théâtre Bouches Décousues et Théâtre Pupulus Mordicus Du 15 janvier au 2 février 2019 Théâtre Périscope, 2 rue Crémazie Est, Québec Réservations: 418-529-2183 *** Du 12 février au 2 mars 2019 (1h15 sans entracte) Salle Fred-Barry (Théâtre Denise-Pelletier), 4353, rue Sainte-Catherine, Montréal Réservations: 514-253-8974
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