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«La Place Rouge» de Clara Prévost: Tchekhov-en-Québec

Dernière mise à jour : 12 juil. 2019

par Yanik Comeau (ZoneCulture/Comunik Média)


Avec sa toute première pièce, la comédienne Clara Prévost plonge dans sa passion pour Anton Tchekhov tout en créant une œuvre toute contemporaine et québécoise mais universelle. On a souvent parlé des affinités des personnages soviétiques de Tchekhov avec ceux des auteurs de chez nous, des similitudes entre le Québec glacial et la Russie subarctique. Prévost y va à fond la caisse dans son amour de l’auteur de La Mouette (faisant même apprendre le Russe à sa Sonia – un prénom qui se trouve dans Oncle Vania, comme celui de sa sœur, Elenaet donnant aux frangines un amour partagé pour Moscou), incluant même quelques répliques tirées de la célèbre pièce.



Sise quelque part au Québec, dans ce qui semble être un village de taille moyenne, La Place Rouge se déroule au cœur d’une accablante canicule comme celles que nous avons connues cette année. Ventilateurs et rideaux tirés pour empêcher le soleil d’entrer ne seront pas assez pour calmer les passions, endormir les frustrations, apaiser le stress, soulager les vieilles blessures. Lorsqu’Elena revient à la maison familiale pour une cérémonie municipale honorant sa défunte mère, sa sœur Sonia est ravie de l’accueillir, mais elle cache une jalousie, une douleur, une haine qu’elle ne parviendra pas à refouler complètement.


Bien que la trame narrative de la pièce soit bien menée et que l’œuvre se consomme en douceur, particulièrement grâce à la belle mise en scène d’Isabelle Leblanc, certains fils – des B stories – sont échappés au profit de l’histoire principale. La jolie histoire d’amour entre le jeune policier Alexandre (touchant Jérémie Bouchard) et Elena-la-prodigue gagnerait à être développée (on devine qu’ils ont un lourd passé, qu’il a été anéanti par son départ et fonde beaucoup d’espoir sur son retour, mais… on passe trop vite à autre chose et on n’y revient pas vraiment) tout comme la relation nébuleuse mais clairement chargée entre Mathilde-la-voisine (un personnage coloré, bien écrit et magnifiquement interprété par Joanie Guérin) et Sonia (excellente Rebecca Vachon, toute en nuances et troublante à souhait). On s’attache au réfugié Hakim grâce au talent et au charisme d’Abdelghafour Elaaziz et on est touché droit au cœur par la simple présence de Lucie Dubé dans le rôle (muet) de la mère. Celle-ci est une magnifique pianiste et sa musique (originale, à l’exception d’un prélude de Rachmaninov) contribue grandement à créer les différentes ambiances tout au long de la pièce.


Je ne me lasserai jamais de l’œuvre de Tchekhov et, avec cette pièce, Clara Prévost (élégante, digne et touchante en Elena), s’avère une digne héritière du contemporain de Stanislavski. Bien qu’il s’agisse d’une première pièce, on détecte déjà un excellent sens du dialogue, une capacité à créer des personnages forts et une voix distincte. On se demande seulement où étaient les conseillers dramaturgiques lorsqu’est venu le temps de développer les histoires secondaires.

La Place Rouge est néanmoins une pièce à voir, un baume sur le cœur malgré ses moments troublants et durs. Une pièce que l’on gagnerait même à voir deux fois, selon l’ami non-initié qui m’accompagnait et qui a beaucoup aimé aussi. C’est tout dire.


La Place Rouge de Clara Prévost Mise en scène: Isabelle Leblanc Avec Rebecca Vachon, Clara Prévost, Joanie Guérin, Jérémie Bouchard, Yann Aspirot, Abdelghafour Elaaziz et Lucie Dubé (ainsi que les voix de Antoine Durand, Éric Forget, Isabelle Leblanc) Musique en direct: Lucie Dubé, Clara Prévost Une création de Productions Fil d’or Du 9 au 27 octobre 2018 (1h20 sans entracte) Salle Fred-Barry (Théâtre Denise-Pelletier), 4353, rue Sainte-Catherine, Montréal

Réservations : 514-253-8974 Photos : Maxime Côté

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