par Yanik Comeau (Comunik Média / ZoneCulture)
Comme son Bonjour, là, bonjour de Tremblay il y a quelques années, La Métamorphose de Kafka est une œuvre charnière dans la vie de Claude Poissant. Exposé à l’écrivain austro-hongrois au début des années 80 lorsqu’il est choisi par le metteur en scène Alexandre Hausvater pour jouer dans Métamorphoses à l’Institut Goethe, l’actuel directeur artistique du Théâtre Denise-Pelletier sera marqué – pour ne pas dire sournoisement hanté – par la nouvelle du grand auteur, somme toute assez peu adapté pour le théâtre chez nous, ne serait-ce que quelques productions marquantes du groupe La Veillée, bien sûr, et le très beau Procès de François Girard au TNM.
C’est cette matière première riche qui ramènera Claude Poissant à l’écriture quelque quinze ans après sa mémorable adaptation du Traitement de Martin Crimp et plus de vingt ans après ses Enfants d’Irène. Sa nouvelle adaptation de La Métamorphose nous permet de renouer avec sa plume poétique mais accessible, généreuse sans être complaisante, respectueuse de l’œuvre originale sans être poussiéreuse. La Métamorphose est une œuvre théâtrale en soit qui évite les pièges de l’adaptation (notamment la narration trop présente et statique).
Claude Poissant le metteur en scène dirige non seulement ses comédiens avec une lucidité et une générosité qui nourrit mais choisit de faire confiance à l’intelligence, à l’imagination et à l’imaginaire du spectateur en évitant de «métamorphoser» physiquement son Gregor (un Alex Bergeron à la fois puissant et impressionnant, tant dans l’émotion que dans l’incarnation corporelle du personnage) en insecte grotesque avec prothèses de tout acabit. Parce que La Métamorphose, c’est la transformation d’un jeune homme en gigantesque insecte voire cloporte, mutation qui pourrait, plus de cent ans après son écriture, représenter métaphoriquement la dépression.
Autour du magnifique jeune comédien qui incarne le personnage central, Claude Poissant réunit Sylvain Scott (codirecteur artistique du Théâtre Le Clou et comédien de théâtre musical de grand talent) et Geneviève Alarie pour jouer les parents de Gregor, duo d’un naturel désarmant et désarmé. Le soir de la première, ce naturel s’est aussi traduit par des rires sur certaines répliques du père, réactions qui ont même semblé surprendre les comédiens. La gracieuse et chimérique Myriam Gaboury est parfaite dans le rôle de Greta, la fille du couple, la sœur à la fois aimante et courageuse mais éventuellement dépassée par les événements. Avec finesse, Alexander Peganov incarne à la fois l’employeur de Gregor et le locataire qui viendra s’installer chez la famille.
Avec La Métamorphose, on sent que Claude Poissant se fait plaisir mais voilà là un plaisir absolument pas égoïste. Voilà un plaisir partagé, une jouissance universelle pour tous les sens. Une production autour de laquelle Pierre-Étienne Locas (scénographie), Marc Senécal (costumes), Renaud Pettigrew (éclairages) et Philippe Brault (complice de Claude Poissant sur L’Origine de mes espèces de Michel Rivard, Marie Tudor, L’Orangeraie…, à la conception sonore) convergent pour le bonheur de tous. Je la recommande chaleureusement.
La Métamorphose d’après la nouvelle de Kafka Texte et mise en scène: Claude Poissant Assistance à la mise en scène: Marie-Hélène Dufort Avec Alex Bergeron, Geneviève Alarie, Sylvain Scott, Myriam Gaboury et Alexander Peganov Scénographie: Pierre-Étienne Locas Costumes: Marc Senécal Éclairages: Renaud Pettigrew Conception sonore: Philippe Brault Dramaturgie: François-Édouard Bernier Maquillages: Florence Cornet Mouvement: Caroline Laurin-Beaucage Une production du Théâtre Denise-Pelletier Du 22 septembre au 16 octobre 2021 (1h30 sans entracte) Théâtre Denise-Pelletier, 4353, rue Sainte-Catherine, Montréal Réservations: 514-253-8974 Information: www.denise-pelletier.qc.ca Photos: Gunther Gamper
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