par Yanik Comeau (Comunik Média / Zone Culture) La rentrée théâtrale s’amorce très bien. Déjà, nous avons eu droit à d’excellents spectacles, mais avec L’Art de la chute, une pièce écrite collectivement par de brillants artistes de la Capitale Nationale, on atteint un niveau de fraîcheur, de jouissance, de bonheur rarement égalés. Vous dire à quel point j’ai été séduit par ce spectacle de 2 heures 40 minutes? Je ne sais pas si je trouverai les mots.
Je n’ai pas pu m’empêcher, en assistant à une représentation de L’Art de la chute, de penser à l’extraordinaire collectif Lentement, la beauté d’une autre compagnie de Québec, le Théâtre Niveau Parking, qui racontait en toute simplicité comment la vie ordinaire d’un quadragénaire se trouvait soudainement transformée lorsqu’il gagnait une paire de billets pour assister aux Trois Sœurs de Tchekhov et se laissait lentement gagner par la beauté de l’art.
L’Art de la chute traite des dessous de l’art – visuel cette fois – d’une façon à la fois différente et semblable. La vie de la jeune artiste visuelle Alice Leblanc (excellente Marianne Marceau) se trouve changée à tout jamais par une résidence au studio du Conseil des arts et des lettres du Québec à Londres où elle renouera avec son amie Laurence (sublime Danielle Le Saux-Farmer dans une multitude de rôles, en français, en anglais, avec de multiples accents impeccablement savoureux) qui travaille pour la banque Lehman Brothers au moment où celle-ci s’apprête à être sacrifiée par le gouvernement américain dans la crise des subprimes qui a mené à la fermeture de plusieurs institutions financières too big to fail. Le même jour que Laurence perd son emploi, l’artiste contemporain Damien Hirst voit 223 de ses œuvres être vendues à l’encan pour 212 millions de dollars chez Sotheby’s. Un spectacle surréaliste en soi… auquel Alice et Laurence assisteront.
Les éléments based on a true story jumelés à la fiction bien ficelée que propose cette pièce ne laissent aucun doute: la spéculation dans le monde de l’art, tout autant que dans l’univers des métaux précieux, des valeurs mobilières, etc…, devient de plus en plus abstraite et toute l’économie mondiale s’en suit. Véritable cours de vulgarisation économique (sanctionné par le chroniqueur économique Gérald Fillion de RDI Économie, rien de moins!), L’Art de la chute n’est pourtant pas une ennuyeuse aventure didactique, au contraire! C’est là une de ses grandes forces, une de ses principales (et il y en a beaucoup) qualités. Tout du long, la formidable Pascale Renaud-Hébert (coauteure et comédienne) brisera le quatrième mur pour vulgariser l’économie, les subprimes, la spéculation mobilière, immobilière, la bourse, sans jamais nous perdre, nous ennuyer ou nous infantiliser. On sort plutôt de la salle avec la conviction que non seulement nous nous sommes laissé raconter une histoire intéressante et divertissante mais encore d’avoir appris plein de choses et de nous «coucher un peu moins niaiseux».
Dans un feu roulant de scènes et de tableaux illustrés simplement avec un décor amovible, des costumes et des projections ingénieuses de Jean-Philippe Côté, L’Art de la chute, malgré sa durée marathon, ne tombe pas une seconde dans des longueurs. On est rivé à nos sièges et on ne s’ennuie pas une seconde. C’est tout à l’honneur de cette partition adroite, de la mise en scène ultra dynamique et innovante de Jean-Philippe Joubert (comment ne pas craquer pour les comédiens qui se métamorphosent en quelques secondes et s’assoient devant un green screen pour nous offrir tous les personnages d’un documentaire sur Alice Leblanc, artiste contemporaine tombée dans la controverse?) et une distribution sans faille qui ne cesse d’impressionner et de séduire tout au long du spectacle. Les hommes, Jean-Michel Girouard et Simon Lepage, également impliqués dans l’équipe d’écriture, sont tout aussi épatants que leurs consoeurs, jouant souvent dans un anglais presque sans faille et avec des accents qui contribuent à différencier les personnages (galeristes, journalistes, spéculateurs, hommes d’affaires, trader, etc…). Le fait que l’on saute du français à l’anglais ne pose jamais problème grâce à des surtitres bien faits et faciles à suivre.
Bref, il ne faut pas manquer L’Art de la chute pour la virtuosité de son écriture tout autant que de sa distribution formidable. Si vous ne vous rendez pas à La Licorne d’ici au 29 septembre, il restera Longueuil ou Saint-Léonard pour les Montréalais et les autres représentations dans les régions du Québec. L’Art de la chute traite si merveilleusement de la débandade financière de 2008 (et de ses conséquences) qu’il sera difficile de ne pas faire des comparaisons avec les deux productions (une à Québec présentement pilotée par Olivier Lépine au Périscope, une à Montréal plus tard cette saison au Quat’Sous sous la férule de Marc Beaupré et Catherine Vidal) du texte de Stefano Massini Chapitres de la chute – Saga des Lehman Brothers. L’Art de la chute Texte et scénario: Véronique Côté, Jean-Michel Girouard, Jean-Philippe Joubert, Simon Lepage, Danielle Le Saux-Farmer, Marianne Marceau, Olivier Normand et Pascale Renaud-Hébert avec la collaboration de Claudia Gendreau et Valérie Laroche Mise en scène et direction de la création: Jean-Philippe Joubert Avec Jean-Michel Girouard, Simon Lepage, Danielle Le Saux-Farmer, Marianne Marceau et Pascale Renaud-Hébert Une production de Nuages en pantalon, compagnie de création 11 au 29 septembre 2018 – mardi au jeudi 19h, vendredi 20h, samedi 16h (2h40 incluant un entracte) *** Supplémentaire: dimanche le 23 septembre 15h Théâtre La Licorne, 4559, avenue Papineau, Montréal Billetterie: 514-523-2246 – theatrelalicorne.com Dates de tournée: 11 octobre: Espace Théâtre Muni-Spec (Mont-Laurier) 13 octobre: Agora des Arts (Rouyn-Noranda) 17 octobre: Centre des arts (Baie-Comeau) 19 octobre: Salle Desjardins-Telus (Rimouski) 22 octobre: Auditorium C.-E.-Pouliot (Gaspé) 27-28 octobre: Théâtre de la Ville (Longueuil) 2 novembre: Théâtre de la Rubrique (Jonquière) 3 mars: Théâtre Mirella et Lino Saputo (Saint-Léonard) 17 mars: Les Arts de la scène (Montmagny) Photos: Vincent Champoux
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