par Yanik Comeau (Comunik Média)
Depuis le 16 janvier, Menuentakuan, une jeune compagnie de théâtre, en collaboration avec le Teesri Duniya Theatre, présente la création de la version française de Where the Blood Mixes de Kevin Loring, nouveau – et premier – directeur artistique du théâtre autochtone au Centre National des Arts. Traduite et mise en scène par Charles Bender (qu’on a pu voir plus tôt cette saison sur la scène du Théâtre d’Aujourd’hui dans Le Wild West Show de Gabriel Dumont et qui était de la distribution de la pièce de Loring en version anglaise en 2009), Là où le sang se mêle est un texte à la fois drôle et touchant, introspectif et ouvert sur le monde.
Marco Collin dans «Là où le sang se mêle».
Soleil Launière dans «Là où le sang se mêle».
Tania Kontoyanni dans «Là où le sang se mêle».
Racontant l’histoire de quelques personnages autochtones vivant au sein d’une petite communauté de Colombie-Britannique, une réserve comme nous en connaissons chez nous aussi, Là où le sang se mêle est d’abord une histoire de famille humaine, indépendante de ses racines. L’histoire de Floyd (touchant et puissant Marco Collin) qui s’est vu retirer la garde de sa fille lorsque sa femme est morte. Cette Christine (incarnée à différents âges par la lumineuse et généreuse Soleil Launière, une découverte), devenue grande, reprend contact avec son père et cherche des explications, sans attaquer, sans juger, sans reproches. Une approche rafraîchissante et étonnante qui fait du bien. Pour répondre aux questions de la jeune femme, il y aura June (une Tania Kontoyanni absolument sublime, drôle, déchirante de vérité et de générosité), la «vieille chum» de sa mère qui, comme une vieille âme, lui ouvrira son cœur et ses souvenirs.
Tania Kontoyanni, Marco Collin, Xavier Huard et Mohsen El Gharbi
S’ajoutent à la distribution le jeune Xavier Huard, codirecteur de la compagnie, qui incarne le seul non-autochtone, le tenancier du bar du coin, celui qui servira les bières à Floyd et à Quêteux, un personnage qui, par moments, exaspère, à d’autres moments, fait sourire et à d’autres encore, vous arrache une larme ou le cœur en entier. Bien que le choix du comédien Belge Mohsen El Gharbi (qui nous a soufflé plus tôt cette saison au MAI dans son one-man show sublime Omi Mouna ou Ma rencontre fantastique avec mon arrière-grand-mère) – de mère flamande et de père tunisien, nous apprend le programme – en soit un très étrange pour ce rôle (les expressions et tournures québécoises, les jurons, les tu m’aimes-tu et compagnie sonnant faux et s’avérant pénibles à écouter – surtout au début, avant que l’on s’habitue), le charisme indéniable de l’acteur et la belle écriture du personnage rachètent le casting.
Certains choix de mise en scène pourraient laisser perplexe, mais l’authenticité, la générosité et le travail d’équipe derrière cette production semblent faire disparaître les petites taches de rouille dans la carrosserie. On adhère à la proposition et on se laisse transporter par cette histoire de famille universelle. Bien que l’on parle beaucoup depuis quelques temps des pensionnats autochtones, des erreurs faites par le clergé dès l’arrivée des premiers colons (on en fait aussi mention dans le film Hochelaga, Terre des âmes de François Girard présentement en salle lui aussi) et des tentatives d’évangélisation de peuples qui en n’avaient pas besoin parce qu’ils avaient déjà leur propre spiritualité très riche, je peine à voir où tout cela s’inscrit dans ce texte de Kevin Loring, bien que Charles Bender aborde le sujet dans le programme du spectacle. Pour moi, ces personnages pourraient tout aussi bien être des citoyens de Saint-Henri ou de Pointe Saint-Charles et le bar de la réserve pourrait tout aussi bien être la taverne du coin. Et c’est une des forces du texte, à mon sens.
Qu’à cela ne tienne, cette nouvelle création de Menuentakuan mérite le déplacement non seulement parce qu’elle invite à la discussion mais encore parce que, comme proposition théâtrale, elle est riche en soi grâce à son texte solide et ses interprètes inspirés (avec, en tête, Tania Kontoyanni qui mériterait un prix d’interprétation pour cette performance).
En ce qui concerne l’aspect spirituel du texte et de l’expérience, Menuentakuan profite de cette manifestation théâtrale pour ouvrir un dialogue avec le public après le spectacle, une splendide plume d’aigle servant de crachoir (si vous me passez l’expression) passé d’un spectateur volontaire à l’autre à la fin de la représentation pour un partage touchant, mais qui dérape aussi parfois. Une belle initiative néanmoins. Un autre pas vers la réconciliation des peuples.
Là où le sang se mêle (Where the Blood Mixes) de Kevin Loring Traduction et mise en scène : Charles Bender Avec Marco Collin, Mohsen El Gharbi, Xavier Huard, Soleil Launière et Tania Kontoyanni Une production de Menuentakuan en collaboration avec Teesri Duniya Theatre Jusqu’au 3 février 2018 (1h35 sans entracte) Salle Fred-Barry (Théâtre Denise-Pelletier), 4353, rue Sainte-Catherine, Montréal Réservations : 514-253-8974 http://www.denise-pelletier.qc.ca/ Photos de Guillaume Sabourin
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