par Yanik Comeau (Comunik Média)
Luce Pelletier et le Théâtre de l’Opsis poursuivent leur Cycle Scandinave avec une pièce de l’auteur suédois Jonas Hassen Khemiri, romancier et dramaturge marquant et traduit dans vingt-cinq langues. Avec J’appelle mes frères, on a droit à un texte percutant, fort, imagé, vertigineusement contemporain et actuel, universel… et c’est là que l’on s’étonne que ce Cycle Scandinave s’éloigne de plus en plus de la «scandinaveté», mot que j’ai ‘inventé’ en parlant de la dernière production de l’Opsis, Les Enfants d’Adam, à l’automne.
Bien que la pièce semble présenter des personnages plutôt musulmans, Luce Pelletier a choisi de transposer les protagonistes et de mettre en scène des acteurs noirs. Un choix que l’on s’explique difficilement et qui donne une autre saveur au texte sans pour autant en édulcorer l’accent sur les problèmes raciaux que nous vivons dans toutes les sociétés occidentales présentement. Au lieu des Bruns, on mettra sur scène des Noirs. Au lieu de traiter d’islamophobie, on abordera les tensions raciales entre citoyens et forces de l’ordre. Encore une fois, au-delà du fait que le texte ait été écrit en Suédois par un auteur né de père tunisien et de mère suédoise, un auteur au seuil de la quarantaine chez qui l’ADN paternel «foncé» fort a sans doute alimenté toute une réflexion dans son «pays de blonds», on cherche franchement la Scandinavie dans cette pièce.
Cela étant dit, on ne peut absolument pas remettre en question l’intérêt de cette pièce qui gagne, en effet, à être connue, comme le souhaite Luce Pelletier qui signe ici une mise en scène plus dynamique et plus proactive que sa dernière, une mise en scène adaptée à la tournée de onze représentations qu’entreprend l’Opsis avec cette production. Malheureusement, sa distribution n’est pas des plus fortes et certains passages du texte font grimacer parce que joués de façon malhabile, comme des notes qui sonnent faux, jouées sur un instrument qui n’est pas à la hauteur. On ne peut remettre en doute le charisme, l’énergie ou la générosité du quatuor devant nous, mais on se demande s’il n’y aurait pas fallu un peu plus de temps de répétition. D’ailleurs, peut-être qu’au fil des représentations, les petites notes inégales s’amoindriront jusqu’à disparaître. Je soulignerais néanmoins l’interprétation d'Anglesh Major que j’avais beaucoup apprécié dans le Titus d'après Shakespeare des Écornifleuses un peu plus tôt cette saison. On gagnera à voir cet acteur sur scène et sur nos écrans de plus en plus.
Ce que je remets en question ici, c’est la pertinence de l’appellation Cycle Scandinave. De par le passé, peut-être que le principe des «cycles» de l’Opsis était plus clair, plus à-propos. Que l’on veuille nous faire découvrir différents dramaturges de Suède, de Norvège, d’Islande, de Finlande et du Danemark, à la bonne heure ! Pas de doute qu’il y en a d’excellents, mais le cycle pour le cycle semble avoir fait son temps. On est loin du fascinant Cycle Oreste qui avait sérieusement dépoussiéré les Atrides, ou du formidable Cycle Tchekhov qui nous avait donné, entre autres, l’inoubliable Je suis une mouette (non ce n’est pas ça). Peut-être faudrait-il revenir aux sources. Et peut-être suis-je trop nostalgique ? Mais quand je repense au Grand et Petit de Botho Strauss, aux textes/adaptations de Pierre-Yves Lemieux (À propos de Roméo et Juliette et Comédie russe entre autres), je m’ennuie de mon bon vieil Opsis.
Ça n’enlève rien à J’appelle mes frères et à cette production, somme toute, plutôt intéressante et bien roulée. Je me demande juste pourquoi on la présente ainsi. Qu’on en finisse avec les cycles, peut-être ?
J’appelle mes frères Texte: Jonas Hassen Khemiri Traduction: Marianne Ségol-Samoy Mise en scène: Luce Pelletier Avec Jasmine Bouchardy, Fayolle Jean Jr., Anglesh Major, Cynthia Trudel Une production du Théâtre de l’Opsis créée en collaboration avec le Réseau Accès Culture Du 22 mars au 3 mai 2018 (1h20 sans entracte) Première à la Maison de la Culture du Plateau Mont-Royal le 22 mars 20h Calendrier de tournée: http://theatreopsis.org/fr/index.php/portfolio/jappelle-mes-freres/
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